La Distillerie de Montréal s’est donc dotée de trois précieux alambics Chalvignac (photo courtoisie).

DISTILLERIE DE MONTRÉAL : EUROPÉENNE D’ORIGINE, ROSEMONTOISE DANS L’ÂME

NDLR : Les brasseurs et distillateurs de l’est de Montréal connaissent depuis quelques années un succès grandissant sur les tablettes un peu partout au Québec, faisant aujourd’hui du territoire l’un des plus productifs sur la scène nationale des micro-brasseurs et micro-distilleries. EST MÉDIA Montréal a voulu en savoir plus sur ces artisans-entrepreneurs en pleine ébullition, ce qui a généré sept reportages et tout autant de belles rencontres, et surtout, une intéressante série signée Elizabeth Pouliot. (7/7).

La Distillerie de Montréal a élu domicile dans l’Espace Affaires Rosemont il y a sept ans. Lilian Wolfelsberger et Stéphane Dion, l’un français, l’autre québécois, ont uni leurs forces afin de mettre le patrimoine arboricole du Québec en valeur. Portrait d’une entreprise qui a la passion du Québec et la distillation inscrite dans son ADN.

Il s’agit en fait de la deuxième compagnie mise sur pied par Lilian Wolfelsberger. Sa précédente, bâtie dans les Cantons-de-l’Est, se spécialisait dans les eaux-de-vie de fruits. Avec ses associés de l’époque, il a arpenté les vergers puis créé les premières eaux-de-vie du Québec, confectionnées avec de la pomme, de la prune, de la poire, de la cantaloup, de la canneberge. « Sauf que ce modèle d’affaires ne fonctionnait pas vraiment parce que les eaux-de-vie de fruits, ça revient très cher à produire. Et vue la majoration de la Société des alcools du Québec, on avait vraiment du mal à en vivre », explique Lilian. Néanmoins, cette expérience l’a fait connaître, puisque que Stéphane Dion l’a approché quelque temps plus tard afin de démarrer une nouvelle entreprise avec lui. Les conditions de Lilian? Une capacité d’agrandissement, de grosses cuves et une localisation dans le quartier Rosemont, où il habite. La Distillerie de Montréal était née.

Stéphane Dion et Lilian Wolfelsberger (photo courtoisie).

La distillation coule dans les veines de Lilian, héritier de générations de distillateurs. Originaire de la Franche-Comté, ce Franco-Montréalais tient à clarifier une chose. « Je suis bouilleur de cru. Beaucoup de gens s’octroient le titre de maître distillateur. Mais pour devenir maître, il faut que quelqu’un vous en donne le titre. Je ne m’instaure pas maître distillateur, parce que ma famille rirait de moi! » À la distillerie, c’est donc Lilian qui récupère les matières premières, qui les transforme, qui y introduit les levures et qui gère les fermentations. Un autre élément indispensable pour lui était de travailler avec les bons instruments. La Distillerie de Montréal s’est donc dotée de non pas un, mais trois alambics européens. « On en a un de 120 litres qui vient d’Alsace et qui est spécialisé pour les fruits. Ensuite, on a deux alambics charentais, un de 500 litres et un de 2 500 litres. » À l’origine, ils servent à fabriquer le cognac et sont fabriqués par la maison Chalvignac, œuvrant dans le domaine depuis plus de 150 ans, celle-là même derrière les marques Rémy Martin, Grand Marnier et Hennessy. « On dit dans le pays du cognac qu’il n’y a pas de grand cognac sans Chalvignac! », lance Lilian. Le bouilleur de cru ne s’est donc pas gêné pour aller chercher la « Rolls-Royce » des alambics. « C’est sûr qu’il y a un coût de revient énorme, mais il y a un savoir-faire et une pratique qui amènent une rondeur extraordinaire dans les alcools. »

Une distillerie, quinze alcools

Ces trois alambics permettent donc à l’entreprise de produire 3 500 litres d’alcool par jour. Pas mal pour une équipe de cinq! Aux côtés de Lilian et Stéphane, oeuvrent trois autres personnes et une quatrième se joindra bientôt au groupe. Ensemble, ils passeront bientôt de 250 boîtes de 12 bouteilles par jour à 400 boîtes, grâce à une nouvelle chaîne d’embouteillage. Contrairement à plusieurs distilleries qui se spécialisent dans un ou deux alcools différents, la Distillerie de Montréal propose quinze produits distincts, tous disponibles à la SAQ, un peu partout au Québec. Une vodka, trois gins, un rhum blanc, deux rhums épicés, une eau-de-vie à l’érable, une eau-de-vie à la pomme, un whiskey, une boisson amère à l’orange, un mojito prêt-à-boire ainsi qu’un pastis se trouvent entre autres dans l’inventaire de l’entreprise. Cette dernière se distingue aussi de par le fait qu’elle a réussi à remporter quatre médailles avec quatre alcools différents, une rareté dans le domaine. Le Spirits Selection est un important concours qui se déroule à Bruxelles et qui récompense les meilleures distilleries du monde. « On a gagné la médaille d’or avec notre rhum blanc. Une première dans l’histoire du Québec! Gagner une médaille d’or dans ce concours, c’est vraiment exceptionnel. » La distillerie a également remporté la médaille d’or pour son eau-de-vie à la pomme, la médaille d’argent pour son whiskey et une autre médaille d’argent pour son gin rose. « On est ressortis de cette compétition en étant convaincus qu’on était sur la bonne voie », se confie Lilian.

Se distinguer sans compromis

Vous l’aurez compris, le choix des mots est important pour Lilian. Ce bouilleur de cru tient à préciser qu’il n’est pas nécessaire de distiller pour se qualifier de distillerie. D’un côté, on trouve plusieurs compagnies, au Québec comme ailleurs, qui se contentent de mélanger, alliant simplement alcool, eau et arômes. De l’autre côté, il y a les artisans, comme la Distillerie de Montréal. À l’aide d’alambics, ils travaillent avec les matières premières, fabriquent leur propre alcool, qu’ils distillent une première fois puis une deuxième. « Je ne vais pas vous mentir, on achète aussi des bases d’alcool parfois, pour avoir une neutralité, une pureté. C’est pratique de pouvoir les prendre. Par exemple, pour notre pastis, on utilise une base d’alcool. Par contre, tous nos alcools sont distillés. Ça veut dire que je fais macérer l’anis étoilé et l’anis vert dans l’alcool et puis je le distille ensuite. » Lilian est donc plutôt satisfait que la SAQ aussi en fasse la distinction. En effet, si l’on regarde attentivement les différentes étiquettes, on trouve « Embouteillé au Québec », « Élaboré au Québec » ainsi que « Origine Québec ». « On a trois produits « Origine Québec » », mentionne fièrement Lilian. « C’est un plus que la SAQ fasse la différence entre les vrais artisans et ceux qui disent faire un produit local et québécois quand, en fait, il n’y a rien de local à utiliser de l’alcool de l’Ontario, de l’eau du Saint-Laurent et des arômes de Chine! »

2020 a été plus douce qu’on ne l’aurait pensé pour la Distillerie de Montréal, en partie parce que les Québécois ont répondu « présents » et ont acheté local. Lilian remarque chez les consommateurs une plus grande ouverture aux goûts ainsi qu’une volonté de connaître l’histoire derrière une bouteille. « Les gens n’achètent plus leur alcool seulement en fonction du prix, ils sont intéressés et avertis. » Si, à cause de la pandémie, la compagnie a dû faire face à une pénurie du côté des matières premières ou encore du matériel comme les bouchons, elle a pu tirer son épingle du jeu en profitant de certains blocages aux frontières. « Les livraisons de Ricard ont été retardées. Les gens ont donc essayé notre pastis. On n’en a jamais vendu autant! » Néanmoins, la Distillerie de Montréal a hâte que la vie reprenne son cours normal, afin de pouvoir reprendre ses dégustations sur place, entre autres. Elle a même en tête l’ouverture d’un bar, les pourparlers s’amorceront d’ailleurs sous peu avec l’arrondissement. En attendant, elle continue de ressentir la soif et met tout en œuvre pour l’épancher. « On veut développer le marché européen et continuer de s’agrandir. » Pour ce faire, 235 tonneaux sont attendus prochainement. Provenant du Kentucky et de la France, fûts de cognac, de bourbon, de chêne français et américain viendront garnir le chai. Ainsi, Lilian et son équipe pourront repartir à nouveau de leur point de départ : « Créons notre propre alcool, mettons-y notre identité propre et voyons ce que ça donne. » Sept ans et quinze alcools plus tard, la recette semble fonctionner!