
Secteur de la rue Jean-Talon Est privé de l’autobus 141 (EMM/Stéphane Plante)
6 mars 2025DÉTOURNEMENT DE LA LIGNE 141 SUR JEAN-TALON EST : DES CONSÉQUENCES POUR LE SECTEUR
Depuis le 28 octobre dernier, le trajet d’autobus de la ligne 141 sur la rue Jean-Talon Est, dans le quartier Saint-Léonard, a été largement détourné vers la rue Bélanger. La situation soulève son lot de mécontentement chez les commerçants et les organismes communautaires ayant pignon sur rue le long de l’axe concerné.
Ce nouveau trajet, allant de la 19ᵉ avenue jusqu’à l’avenue des Halles à Anjou, a été créé en raison des travaux d’excavation du prolongement de la ligne bleue du métro.

Pierre Frisko, directeur général de la SDC Jean-Talon Est (LinkedIn)
Les discussions entre la Société de transport de Montréal (STM), les organismes et divers acteurs économiques de la rue Jean-Talon Est ont débuté à la fin du mois d’août dernier. Pierre Frisko, directeur général de la SDC Jean-Talon Est, a rapidement réagi face à la nouvelle. « On a protesté tout de suite pour dire qu’on ne pouvait pas arrêter la 141!», se rappelle-t-il.
La SDC Jean-Talon Est a alors sollicité la Concertation Saint-Léonard ainsi que d’autres organismes locaux, tels que l’Accueil aux immigrants de l’Est de Montréal (AIEM). Cette coalition a réclamé une rencontre avec la STM afin de partager des propositions alternatives. Après des semaines d’attente, une première rencontre a finalement eu lieu le 7 novembre 2024. « On nous a laissé entendre que nos objections étaient intéressantes et solides et on nous a demandé de soumettre des idées », explique M. Frisko.
L’utilisation des termes « intéressantes et solides » ne voulait toutefois pas dire que la STM s’y soumettait, nuance-t-il. « On nous a dit que nos idées n’étaient pas applicables, que la STM n’avait pas les moyens d’ajouter un service. Alors que tout ce qu’on demande, c’est de remettre le service. On ne leur demande pas de nous construire un tramway en attendant », déplore le directeur de la SDC Jean-Talon Est.
Quelles étaient les suggestions en question ? « On a suggéré de ramener des autobus, quelques-uns par heure. Par exemple, tu en ramènes 3 sur Jean-Talon et tu en gardes sur Bélanger. Ils nous ont dit qu’ils allaient analyser tout ça. L’analyse, en bout de ligne, a été : « Non. On va laisser ça comme ça. » »
Pour M. Frisko, la situation est d’autant plus préoccupante que, à certaines intersections de la rue Bélanger, la distance avec la rue Jean-Talon Est est amplifiée. « Au coin de Lacordaire, la rue Jean-Talon fait une courbe. Puis cette courbe fait en sorte que Jean-Talon Est, entre Lacordaire et Langelier, est à 800 mètres de Bélanger. Tu dois marcher presque 1 kilomètre pour aller prendre ton autobus. Je ne pense pas que c’est digne d’une métropole », souligne-t-il.
Kevin Bilodeau, conseiller corporatif au Bureau du projet ligne bleue pour la STM, admet que « la ligne d’autobus 141 est l’une des plus achalandées du réseau de la STM, avec plus de 20 000 déplacements par jour ». Selon ce dernier, cet achalandage fait en sorte que « les solutions sont restreintes ».
Trajets alternatifs et navette
Des trajets alternatifs pour la ligne 141 ont été proposés à la STM par la SDC Jean-Talon Est, la Concertation Saint-Léonard et des organismes du secteur. Celui-ci ramène l’autobus sur quelques intersections de Jean-Talon Est (voir image ci-dessous). M. Frisko souligne que ce trajet est « d’une grande simplicité » et que son adoption dans le secteur contribuerait à « ne pas assassiner le commerce sur la rue ».

Trajet alternatif de la ligne 141 proposé à la STM (Courtoisie SDC Jean-Talon Est)

Trajet alternatif de la ligne 141 proposé à la STM (Courtoisie SDC Jean-Talon Est)
Selon Lina Raffoul, directrice générale du service de placement Horizon Carrière, situé sur Jean-Talon Est, « ces trajets viendraient aider les personnes qui doivent se rendre dans des endroits aussi fréquentés que notre bâtisse ».
Les organismes communautaires de l’artère en bénéficieraient aussi, assure Pierre Frisko. « Ça contribuerait à donner des services à des personnes âgées qui en ont besoin, à des immigrants qui font affaire avec l’Accueil aux immigrants de l’Est de Montréal (AIEM). Tout le monde a besoin de cet autobus-là. On dirait qu’il y a juste la STM qui n’en a pas besoin », insiste-t-il.
Sabrina Fauteux, directrice générale de Concertation Saint-Léonard, évoque pour sa part une autre suggestion qui pourrait atténuer partiellement les désagréments causés par le détournement de la ligne 141. « On a proposé une navette sur la rue Valdombre. Plusieurs organismes communautaires offrent des services sur Jean-Talon Est entre Valdombre et Lacordaire », précise-t-elle.
Kevin Bilodeau croit quant à lui que ces alternatives amèneraient les autobus à circuler en zones résidentielles. « Cette option n’est pas une solution idéale de notre point de vue », indique le conseiller corporatif au Bureau du projet ligne bleue pour la STM.
Répercussions pour les organismes communautaires
Les organismes communautaires établis sur Jean-Talon Est doivent maintenant conjuguer tant bien que mal avec cette nouvelle réalité. « Ça vient ralentir leurs services. On parle d’organismes qui offrent des services essentiels directement à la population : aide alimentaire, employabilité, services pour les nouveaux arrivants, un centre pour aînés », explique Mme Fauteux.
Le Centre des aîné.e.s de Saint-Léonard, situé au coin des rues Jean-Talon Est et Lacordaire, est également touché. « Comme tu n’as plus d’arrêt à ce coin de rue, ça nuit au déplacement des personnes qui sont souvent à mobilité réduite. Le fait de devoir marcher plus longtemps peut les amener à ne pas aller à leur centre parce qu’il y a trop d’embûches dans leur quotidien. Ça peut créer encore plus d’isolement », ajoute la directrice générale de Concertation Saint-Léonard.
Le constat est similaire pour la clientèle devant se rendre à Horizon Carrière, indique sa directrice générale. « Il y a des parents qui arrivent chez nous avec 2 ou 3 enfants. Ils sont à la recherche d’un emploi et ils n’ont pas de budget pour mettre leurs enfants en garderie. Ils doivent marcher tout ce chemin pour se rendre jusque chez nous. C’est souvent des gens qui viennent d’un peu partout sur le territoire de l’est de Montréal. »
De lourdes conséquences pour les commerces
Comme les travaux pourraient durer encore 7 ans au minimum, certains commerçants de l’artère craignent le pire. Pour M. Frisko, les conséquences seront particulièrement lourdes pour les commerces les plus petits, notamment ceux du milieu de la restauration. « On a des petits restaurants latinos, créoles, qui sont super intéressants et qui attirent une clientèle de travailleurs. Ils viennent manger le midi parce que c’est pas cher. Souvent, ils se déplacent en transports en commun. Mais ces gens-là ne viennent plus ici », se désole-t-il.
Mme Fauteux dénote quant à elle une diminution de la fréquentation sur la rue Jean-Talon Est. « Il y a beaucoup de fermetures de commerces de proximité à Saint-Léonard. C’est déjà une artère fragilisée, et il y a plusieurs commerces vacants. »
« Comment on peut dire que pendant 7, 8, 9 ou 10 ans, on prend une rue aussi principale que Jean-Talon Est et on l’ampute comme ça?, se demande Mme Raffoul. C’est un lieu fréquenté pour ses services, on a une SDC, ce n’est pas pour rien. »
Pour Pierre Frisko, la situation s’avère d’autant plus ironique car la Ville de Montréal tente actuellement de soutenir l’artère Jean-Talon Est. « Pendant que la Ville donne de l’argent pour qu’on la rende intéressante et dynamique, la STM nous enlève nos principaux instruments, les piétons, les gens qui utilisaient le transport en commun. C’est dévastateur. »
Le conseiller corporatif au Bureau du projet ligne bleue pour la STM reconnaît quant à lui que « la voie réservée sur Bélanger est une bonne solution, mais pas une solution parfaite » et se dit « ouvert et en action pour évaluer d’autres options ». Des études seraient même en cours pour réévaluer le trajet détourné actuel. « Une fois l’évaluation terminée, nous serons en mesure de déterminer si d’autres solutions pouvaient être mises en place pour optimiser nos mesures d’atténuation », indique Kevin Bilodeau.