À LA DÉCOUVERTE DES « RUINES » DE L’ÎLE SAINTE-THÉRÈSE
Située entre les rives de Pointe-aux-Trembles et Varennes et accessible que par bateau, l’Île Sainte-Thérèse a été un des tout premiers sites occupés par des colons français dans la région de Montréal. En effet, l’île devient officiellement une seigneurie en 1672, alors que la concession est accordée à Michel Sidrac Du Gué de Boisbriand par l’intendant Jean Talon.
D’une longueur d’environ 5 km et ne dépassant pas les 2 km en largeur, l’Île Sainte-Thérèse, qui est officiellement située sur le territoire de la ville de Varennes, a toujours été habitée depuis ce temps, mais par peu d’insulaires finalement. On y pratiquait surtout l’agriculture, tout comme aujourd’hui d’ailleurs avec la présence d’un agriculteur qui loue le territoire, propriété aujourd’hui du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. On trouve également sur l’île plus d’une centaine de « chalets », dont certains sont occupés à l’année. Des installations sans eau courante, sans électricité, sans aucun service public, dont plusieurs datent déjà des années 1950. Le gouvernement du Québec tente actuellement d’évincer ces occupants qu’il juge illégaux, alors que ces derniers contestent en bloc devant les tribunaux alléguant à la fois des droits acquis et, pour certains, des titres de propriété en bonne et due forme. EST MÉDIA Montréal avait déjà traité du sujet dans un article précédent.
À la fin du mois d’avril dernier, nous avons eu l’occasion de retourner sur cette île en compagnie de quelques résidents, question d’aller découvrir cette fois-ci ce qu’il reste des plus anciens bâtiments du côté sud (face à Pointe-aux-Trembles), vestiges qui ont d’ailleurs fait l’objets de plusieurs études archéologiques depuis les années 1980. À cette époque, le gouvernement québécois envisageait déjà de convertir l’Île Sainte-Thérèse en « Parc interrégional du Croissant de l’est », et évaluait le potentiel historique du site. Après un timide essai « récréotouristique » au tournant du siècle avec l’implantation d’une piste cyclable sur l’île, projet rapidement abandonné, il semble que Québec ait toujours un grand projet de parc dans ses cartons pour ce territoire, mais refuse de confirmer quoi que ce soit tant que la cause des insulaires est toujours en suspens. Une histoire à suivre donc.
Pour ceux et celles qui s’intéressent à l’histoire de l’Île Sainte-Thérèse, vous trouverez à la fin de l’article un extrait fort intéressant tiré d’un rapport de la firme d’archéologie Ethnoscop daté de 1996. Il résume bien le contexte historique de l’Île. Ce rapport est le fruit d’une étude commandée à l’époque par Le Secrétariat du Comité spécial d’initiative et d’action pour le Grand Montréal et publié par le ministère de la Culture et des Communications.
Le parcours en photos
Guidés par des insulaires, nous avons commencé notre parcours à environ 700 mètres à l’ouest du premier chalet que l’on aperçoit sur l’Île, si l’on vient de la marina de Pointe-aux-Trembles. Ces ruines témoignent d’une maison du 18 siècle, et sont visibles surtout au printemps alors que la végétation n’est pas encore trop dense. Ce site se trouve du côté sud du chemin principal.
En se dirigeant vers l’est, on rencontre cette magnifique grange, qui reposerait sur des assises datant du 19e siècle, mais visiblement rebâtie au 20e. Un résident de l’île qui nous accompagnait affirme avoir assisté à des messes le dimanche à cet endroit dans les années 1950 alors que beaucoup de villégiateurs montréalais débarquaient sur les plages de l’île la fin de semaine. « Un curé de Varennes donnait la messe dans la grange, il y avait une scène assez grande, et il fallait s’habiller endimanché, c’était plein de monde. Il y avait aussi des événements à cet endroit, des spectacles, de l’animation. C’était vraiment spécial », dit-il. Aujourd’hui abandonnée, la grange semble toutefois encore en assez bon état, et on voit bien la scène à l’intérieur.
Le troisième site, un peu plus loin de la grange, cette fois du côté nord du chemin principal, est assez spectaculaire. Il s’agit d’une habitation dont les fondations seraient du 18e siècle, mais qui aurait été reconstruite à quelques reprises au fil du temps (le type de crépi en témoigne, notamment). Aujourd’hui en ruine, la maison est toutefois dans un état assez intéressant laissant entrevoir les ouvertures, four, cheminées, etc. Les murs de pierres, certains bien conservés, sont magnifiques. D’après des insulaires, il s’agirait d’une maison seigneuriale, mais nous n’avons pu le confirmer selon la documentation qui nous était disponible.
À une quinzaine de minutes de marche de cet endroit, nous arrivons à une superbe maison construite, selon les registres, dans les années 1850. Cette structure ancestrale en bois serait aujourd’hui la propriété du gouvernement du Québec. Elle est dans un remarquable état… pour une maison abandonnée. Lors de notre visite, nous avons pu y entrer facilement (elle n’était ni barrée ni barricadée), et avons pu constater qu’elle était occasionnellement « squattée ». Visiblement, encore heureux que ce témoin extraordinaire de l’Île n’est pas passé au feu… ce serait certainement une perte déplorable pour le patrimoine. « Cet endroit pourrait faire un poste d’accueil exceptionnel si le gouvernement décide de faire de l’Île un territoire protégé ou récréotouristique, mais il faudrait protéger la maison dès maintenant, sinon elle risque d’être irrécupérable bientôt », soutient Fannie Martin, une résidente de l’île.
Selon les insulaires, ces sites historiques laissés à l’abandon actuellement par le gouvernement du Québec se détériorent rapidement, et nous avons pu aussi le constater en comparant des photos tirées de plusieurs études archéologiques depuis les années 1980. Espérons que des actions soient entreprises dans un proche avenir pour protéger ces vestiges, pourquoi pas dans le cadre d’un parcours d’interprétation historique… dans un magnifique et grand parc public? Des premières ruines à la petite maison blanche, le parcours est d’environ 30 minutes à pied, longeant le chemin principal.
Extrait tiré d’un rapport de la firme d’archéologie Ethnoscop daté de 1996, résumant le contexte historique de l’Île. Étude commandée à l’époque par Le Secrétariat du Comité spécial d’initiative et d’action pour le Grand Montréal et publié par le ministère de la Culture et des Communications.
À cause de la situation de confluence de l’île Sainte-Thérèse, avec les îles environnantes et les rivières des Mille-Îles, des Prairies et de l’Assomption, on peut lui attribuer une importance stratégique dans les réseaux humains anciens. Dix sites à composantes préhistoriques sont connus actuellement sur l’île Sainte-Thérèse. On note une certaine concentration des sites sur l’extrémité sud de l’île.
Les témoins matériels recueillis sur les sites sont épars et très diffus. Ils sont représentés par des fragments d’outils en matière lithique (flèche, grattoir, pierre polie) et des tessons de poterie décorés. Certaines de ces pièces remontent aux périodes du Sylvicole inférieur (2 000 – 2 500 ans A.A. – avant aujourd’hui) et du Sylvicole moyen (l 000 à 2 000 A.A.). Une pointe de projectile du site (BkFi-1) pourrait être associée à la période archaïque soit environ 3 000 à 5 000 ans A.A.
La colonisation de l’est de l’île de Montréal débute peu de temps après la prise en charge de cette seigneurie par le Séminaire de Saint-Sulpice en 1663. Vers 1670, les sulpiciens distribuent des concessions en dehors de Ville-Marie dans le but d’assurer la défense de l’île mais aussi de favoriser le peuplement. Emplacements fortifiés par des redoutes ou des forts au 17e siècle, les noyaux villageois de Longue-Pointe, de Pointe-aux-Trembles et de Rivière-des-Prairies prendront progressivement de l’expansion à la faveur de la croissance démographique et du climat socio-économique favorable du début du I8e siècle.
Faisant face au territoire de la paroisse de Pointe-aux-Trembles, l’île Sainte-Thérèse devient officiellement une seigneurie en 1672. La concession est accordée à Michel Sidrac Du Gué de Boisbriand par l’intendant Jean Talon. Membre du Régiment de Carignan, le capitaine de Boisbriand occupe temporairement le poste de commandant militaire. Dès 1667, à l’époque où les tensions entre eurocanadiens et iroquois étaient grandes dans la région de Montréal, il obtient la permission de s’établir à l’île Sainte-Thérèse. En concédant à un militaire cet espace insulaire situé stratégiquement au confluent du fleuve Saint-Laurent, des rivières des Prairies et l’Assomption, les gouvernants favorisaient la mise en place d’un autre point de contrôle de la circulation maritime des hommes et des marchandises (ex.: fourrures).
Les premières concessions accordées sur le territoire de l’île Sainte-Thérèse par le seigneur de Boisbriand sont octroyées en 1674. Elles sont situées sur le côté ouest de l’île. Les premiers censitaires sont Mathurin Gauthier dit Landeville et Antoine Hoquet dit Le Picard. La structure foncière préconisée par De Boisbriand prend la forme de lots rectangulaires d’une longueur de 15 arpents avec leurs devantures sur le fleuve. Les propriétaires construisent d’ailleurs leurs résidences non loin des berges. Cette division des terres favorise la conservation au centre de l’île, au fonds des terres, d’une bande boisée. Le domaine seigneurial occupe la partie sud de l’île. Les documents historiques mentionnent l’existence de plusieurs bâtiments : boulangerie, écurie, bergerie, moulin à vent, hangar, cabane.
Les tentatives du premier seigneur pour trouver des colons pour occuper son île semblent fructueuses puisque dès 1681, soit à peine sept ans après le début des concessions, l’île abrite 53 résidants répartis sur 14 propriétés. Le recensement de 1681 indique également qu’une superficie totale de 94 arpents est mise en valeur dont 40 au domaine seigneurial. L’occupation maximale de l’île est atteinte vers 1723 alors qu’elle abrite 19 résidences et que son territoire est divisé en 23 censives. Ce niveau d’occupation est maintenu jusque vers 1856. Du début de sa colonisation vers 1674 jusqu’à son abandon presque total au milieu du 20e siècle, l’île Sainte-Thérèse connaît une exploitation essentiellement agricole caractérisée, selon les époques, par la culture des grains, l’élevage de bovins et des ovins et la culture de pommes de terre. Elle était habitée par une population d’exploitants agricoles souvent apparentés les uns aux autres. Sa faible population explique qu’aucun village s’y est formé.
Les résidents de l’île Sainte-Thérèse se rendaient, en embarcations, soit à Pointe-aux-Trembles, sur l’île de Montréal, ou à Varennes, paroisse dont ils étaient officiellement membres, pour faire leurs achats, aller à l’église, faire affaires avec l’artisan ou le professionnel (ex.: notaire), etc. Parmi les autres « vocations » qu’a connues l’île Sainte-Thérèse, mentionnons celle de site de camp temporaire pour les militaires britanniques lors de la capitulation de Montréal en 1760, de chantier pour la construction de bateau, et de phare pour la navigation aux 19e et 20e siècles.
L’absence de noyau villageois sur l’île ne signifie pas l’absence de vie et de services communautaires comme le témoignent les allusions à une « chapelle» et à une « maison ayant servi d’école » dans un acte de vente de 1958 (Bureau de publicité des droits du comté de Varennes). À l’exemple d’autres territoires agricoles aux abords immédiats de Montréal, dont celui de Pointe-aux-Trembles, l’île Sainte-Thérèse voit sa population décroître graduellement dans la seconde moitié du 19e siècle. En 1897, il ne reste plus que douze exploitations occupées sur l’île. Ce délaissement des terres est à la fois la conséquence de changements importants dans une économie où l’industrie et la ville prennent de plus en plus d’importance et ont un pouvoir d’attraction sur ces jeunes qui auraient pu assurer la relève des vieux agriculteurs. Rappelons qu’en 1921, pour la première fois, la population urbaine sera plus importante que la population rurale au Québec.
Tout au cours de la première moitié du 20e siècle, le nombre d’exploitants à l’île Sainte-Thérèse diminue graduellement pour atteindre le chiffre de cinq en 1944. Au début des années 1950, le Québec connaît une crise agricole suscitée par l’effondrement des prix et des marchés. Cette crise de 1951 signifie la victoire de l’agriculture marchande pratiquée sur de grandes exploitations et la disparition de l’agriculture familiale traditionnelle telle que vécue à l’île Sainte-Thérèse sur des exploitations de moins de 10 hectares. Plus de la moitié des exploitations agricoles québécoises disparaissent entre 1951 et 1971.
En 1958, la presque totalité de l’île est vendue à une communauté religieuse de la région de Québec, la Congrégation du Très-Saint-Rédempteur. Cette vente signifie le départ des derniers résidants permanents. La seule occupation qui persiste est celle de « squatters » habitant des chalets à la belle saison. Quelques mois après avoir acquis cet immeuble, les religieuses vendent l’île Sainte-Thérèse à des promoteurs immobiliers, Développement Centre-Ville de l’Isle. Les projets de développement ne semblent pas se réaliser puisque l’acheteur se révèle incapable d’assumer ses charges financières. Suite à un jugement de la Cour supérieure en 1967, les religieuses reprennent possession de l’île. Quelques années plus tard, soit en 1975, le gouvernement du Québec acquiert ce territoire. Depuis quelques années, des efforts de mise en valeur à des fins récréotouristiques ont vu le jour.