Les gens qui se cherchent un logement à un coût abordable à Montréal vont-ils encore en trouver un dans l’est? Pas si sûr, si l’on se fie aux données tirées du marché locatif qui semblent démontrer que même les quartiers de ce secteur de la métropole ne sont plus à l’abri de la flambée des loyers.

« On est épargné nulle part. Un loyer abordable, ça existe de moins en moins à Montréal, même dans l’est », souligne Cédric Dussault, porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ).

Celui-ci en arrive à ce constat en examinant les statistiques colligées par l’organisme dans son récent rapport Sans loi ni toit : Enquête sur le marché incontrôlé des loyers. En effet, on y découvre que la plupart des arrondissements de l’est de l’Île, qui sont historiquement plus accessibles financièrement, se rapprochent de la moyenne montréalaise.

Ainsi, en se basant sur des annonces de logements à louer sur le site Kijiji, le RCLALQ a été en mesure de calculer le prix moyen d’un loyer par secteur sur le marché en 2022, ainsi que l’écart du prix avec l’année précédente.

Les informations compilées par le regroupement indiquent qu’en 2022, le prix moyen d’un logement sur l’ensemble de l’Île de Montréal est de 1393 $. Or, les quartiers de l’est se rapprochent de plus en plus de cette moyenne. En effet, la moyenne des loyers dans Hochelaga-Maisonneuve est de 1352 $, dans Rosemont – La Petite-Patrie : 1294 $, dans Anjou/Saint-Léonard : 1267 $, dans Mercier : 1206 $, dans Pointe-aux-Trembles / Est de l’Île : 1152 $ et dans Montréal-Nord : 1062 $.

Les données sont encore plus surprenantes lorsqu’on cherche des grands logements aptes à héberger des familles. Il en coûte en moyenne 1444 $ pour se trouver un 4 et demi et 1774 $ pour un 5 et demi (ou plus grand) dans Hochelaga-Maisonneuve. Dans Rosemont – La Petite-Patrie, c’est environ 1332 $ qu’il faudra débourser cette année pour un 4 et demi et 1823 $ pour un 5 et demi (ou plus grand). À titre comparatif, il en coûte en moyenne 1448 $ pour se trouver un 4 et demi sur l’Île de Montréal et 1841 $ pour un 5 et demi ou un logement plus grand.

Qui plus est, c’est dans Mercier et Montréal-Nord, des secteurs qui traditionnellement sont plus abordables, que l’on retrouve les hausses les plus fulgurantes dans la moyenne des loyers comparativement à 2021. L’écart est de 9,3 % par rapport à l’an dernier dans Mercier et de 8,4 % dans Montréal-Nord. Les quartiers Hochelaga-Maisonneuve (7,6 %), Anjou/Saint-Léonard (7,0%), Pointe-aux-Trembles/Est de l’Île (6,1%) et Rosemont – La Petite-Patrie (5,4%) ne sont pas en reste et connaissent eux aussi une augmentation substantielle des prix des loyers sur le marché.

Un écart avec les données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) est aussi inclus dans le rapport et démontre « qu’au cours des dernières années, il y a eu des augmentations énormes lors des changements de locataires et que les logements disponibles aujourd’hui dans ces secteurs sont affichés à des loyers beaucoup plus chers que ce qu’il y a quelques années, insiste M. Dussault. À Anjou/Saint-Léonard, par exemple, l’écart entre le loyer moyen et les loyers des logements disponibles à la location est de près de 60%, et de près de 55% à Hochelaga-Maisonneuve ». Pourtant, c’est sur les statistiques de la SCHL que les paliers de gouvernement se fient pour fixer leurs politiques et subventions en matière de logement, un fait désolant selon le porte-parole du RCLALQ, puisqu’elles ne sont pas représentatives du marché réel.

Aucun quartier n’est à l’abris de la spéculation

Trouver un logement abordable dans l’est n’est donc peut-être plus aussi facile qu’il ne le fut si l’on se fie aux données de la RCLALQ. « Ce ne sont plus seulement les quartiers centraux qui subissent les hausses les plus fortes. Désormais, les hausses les plus importantes de loyer, on les retrouve dans les quartiers excentrés », souligne M. Dussault. Dans les dernières années, des secteurs comme Montréal-Nord et Saint-Michel ont été en proie à une spéculation immobilière accélérée, selon le porte-parole. « Ça se passe très vite et les ressources dans ces quartiers ne sont pas suffisantes pour venir en aide aux locataires. »

Pour Melissa White, organisatrice communautaire au Comité logement de Montréal-Nord, la spéculation et les rénovictions sont des phénomènes nouveaux sur son territoire, mais leurs effets se font bel et bien ressentir. « Je le constate quotidiennement; on a des locataires qui viennent nous demander de l’aide parce que leur propriétaire leur impose des augmentations de loyer de 50, 75, 100 et même parfois 200 $. On voit aussi beaucoup de reprises de logement, pour des motifs dont on se doute être frauduleux. Il y a très certainement un début de gentrification dans Montréal-Nord. » Cette dernière voit aussi une hausse du nombre de locataires qui contactent le Comité pour obtenir de l’aide et des conseils, passant de 1779 appels, courriels et messages en 2020-2021 à 1823 en 2021-2022. « C’est d’autant plus difficile de se trouver un logement dans Montréal-Nord lorsqu’on sait qu’on est un des arrondissements avec le plus haut taux de pauvreté à Montréal. Cette année, on s’attend à ce qu’une dizaine de foyers se retrouvent à la rue au lendemain du 1^er juillet, faute de pouvoir trouver un bail à temps. »

À la Table de développement sociale de Rivière-des-Prairies, combattre la pauvreté dans le quartier sera rendu plus complexe à cause de la hausse des loyers. « En 2020, on a observé qu’une personne quittait un 4 et demi en moyenne au prix de 769 $ pour en trouver un autre à 914 $. C’est une hausse de 25 % ! C’est très préoccupant, car on sait que le logement abordable est un élément essentiel de la lutte à la pauvreté », insiste Katy Lessard, coordonnatrice à la Table.

Dans d’autres arrondissements, qui connaissent depuis plus longtemps les effets de la surchauffe immobilière, on n’anticipe pas d’accalmie de sitôt. « En 2021, on a reçu 16 000 appels ! Le flux de demandes de la part des locataires a vraiment explosé depuis les deux dernières années. Les services du Tribunal administratif du logement et les lignes 311 et 211 sont tellement surchargées qu’elles renvoient les citoyens vers nous et on peine à fournir, insiste Caroline Magnier, coordonnatrice au Comité logement de Rosemont. Les personnes âgées qui ont gardé un logement depuis plusieurs années et qui se font évincées ne peuvent plus trouver un loyer au même prix dans leur quartier. Il en va de même pour les familles, qui sont obligées de demeurer dans des logements insalubres ou trop petits pour rester dans leur quartier, près des écoles et des services. Sinon, la tendance est de se déplacer vers les quartiers moins chers. On assiste à un exode. »

Même son de cloche à Entraide Logement Hochelaga-Maisonneuve, où l’on constate depuis les cinq dernières années les résultats de la spéculation et des rénovictions. « De façon générale, nos services sont plus sollicités que jamais cette année. C’est encore pire qu’à la crise du logement de 2003-2004 », affirme Guillaume Dostaler, coordonnateur au sein de l’organisme. Ce dernier, qui soutient que la pandémie n’a pas eu d’effet de frein sur le marché locatif, plaide pour qu’un gel des loyers soit mis en place pour mettre fin à la flambée des prix, à l’instar de ce qui a été fait en Colombie-Britannique en 2020. « Les spéculateurs se sont dirigés vers d’autres marchés, dont celui de Montréal, où il règne un « free for all » depuis. »

Prix moyen d’un loyer sur Kijiji en 2022, hausse (%) par rapport à 2021 et écart (%) avec les données de la SCHL

Île de Montréal : 1393 $, 5,2%, 53,3%

Hochelaga-Maisonneuve : 1352 $, 7,6%, 54,7%

Mercier : 1206 $, 9,3%, 9,3%

Rosemont – La Petite-Patrie : 1294 $, 5,4%, 62,0%

Anjou/Saint-Léonard : 1267 $, 7,0%, 59,8%

Montréal-Nord : 1062 $, 8,4 %, 28,1 %

Pointe-aux-Trembles / Est de l’Île : 1152 $, 6,1%, 42,6%

Pour la réalisation de cette enquête, le RCLALQ a récolté 51 135 annonces de logement à louer sur le site Kijiji entre le 4 février 2022 et le 31 mai 2022.