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19 janvier 2025CRISE DU LOGEMENT : VERS UNE HAUSSE DES REPRISES « MALHONNÊTES » ?
Les propriétaires d’immeubles avaient jusqu’au 31 décembre dernier pour aviser un locataire dont le bail se termine le 1er juillet 2025 que son logement serait récupéré. Toutefois, pour demander à un résident de lui céder son appartement, un propriétaire doit détenir une raison valable comme habiter lui-même les lieux ou bien loger un membre de sa famille immédiate. Pourtant, de nombreux propriétaires avec un manque de scrupules utiliseraient le prétexte de la reprise de logement pour expulser des locataires et relouer leur appartement à un prix beaucoup plus élevé, selon des employés œuvrant auprès d’organismes d’aide au logement de l’est.
Ce stratagème serait même à la hausse dans ce secteur de l’île de Montréal. Selon Arnaud Duplessis-Lalonde, organisateur communautaire du Comité Logement Rosemont, « à partir de 2020, on a vu une augmentation des reprises, au moment où l’arrondissement [Rosemont–La Petite-Patrie] a adopté des réglementations qui limitent les possibilités d’éviction. L’arrondissement n’émettait plus de permis de transformation, d’agrandissement ou de subdivision des logements », explique-t-il.
Selon l’organisateur, la tendance se répète comme à pareille date l’année dernière. « On est en janvier et on est déjà rendus à une trentaine de cas de reprises compilées. L’an passé, on était autour de 35 cas de reprise. »

Sylvie Dalpé (à droite) (Courtoisie)
Même constat du côté de Sylvie Dalpé, coordonnatrice du comité logement Action dignité de Saint Léonard. « On a reçu 25 cas de reprises jusqu’à maintenant. C’est énorme! », constate Mme Dalpé.
Elle ajoute que cette hausse des reprises, on la voit « dans tous les quartiers, que ce soit Rosemont, Anjou, Hochelaga-Maisonneuve. On la voit quand les locataires habitent le logement depuis 10-15 ans. C’est ces logements-là que les propriétaires tentent de reprendre. Ils veulent mettre dehors les locataires qui habitent-là pour hausser leur loyer ».
Mélissa White, organisatrice communautaire pour le Comité logement de Montréal-Nord, n’a quant à elle pas constaté de hausse au cours de la dernière année. « Il n’y a pas eu nécessairement plus de reprises. Par contre, j’ai l’impression qu’il y a plus d’appels pour des cas de rénovictions », fait-elle remarquer.
Si les reprises gagnent tout de même en popularité, c’est qu’elles sont devenues « un outil pour le propriétaire de rentabiliser son mauvais investissement », croit M. Duplessis-Lalonde. « Si tu achètes un immeuble avec des revenus insuffisants, je m’excuse, mais tu as pris une mauvaise décision financière. Ça ne devrait pas être au locataire de payer pour tes mauvais choix financiers. »
Reprise de mauvaise foi ou fausse reprise
La situation des reprises de logement d’avère des plus préoccupantes, d’autant plus que ces tentatives ne sont souvent pas motivées par la plus grande honnêteté. « Si on regarde les rapports que le RCLALQ (Regroupement des comités logement et associations des locataires du Québec) a sorti sur les reprises forcées, une large majorité des reprises qui sont demandées par des propriétaires sont de mauvaise foi», explique Arnaud Duplessis-Lalonde.
À quoi reconnaît-on une « reprise de mauvaise foi »? M. Duplessis-Lalonde la définit comme « un propriétaire qui va habiter le logement quelques mois, puis le relouer beaucoup plus cher. Le but c’est surtout de se débarrasser du locataire ».
Mme White indique également avoir été témoin d’un autre type de reprise de mauvaise foi au sein de son comité de logement : « J’ai reçu un appel d’une locataire. Son nouveau propriétaire avait discuté avec elle. Ça fait même pas un an qu’il a acheté. Il lui a dit : « On va faire une reprise, mais si tu acceptes 700$ d’augmentation, on fera pas de reprise… ». »
Un autre résident victime d’une reprise de logement l’a aussi téléphoné pour lui dire « que son ancien logement avait été loué à une nouvelle locataire et qu’elle payait vraiment plus cher. Ce n’étaient pas les propriétaires qui habitaient là finalement. »
Arnaud Duplessis-Lalonde rapelle d’ailleurs qu’il est important dans un cas de reprise d’assurer un suivi pour voir si le propriétaire a tenu sa parole. « On encourage les locataires à vérifier en allant à leur ancien logement pour voir si le propriétaire ou le bénéficiaire de la reprise occupe bel et bien le logement », conseille-t-il.
Comme l’affirme Mme Dalpé, le locataire expulsé doit aussi rassembler des preuves pour démontrer la malhonnêteté. « Il faut que ce soit des voisins qui veulent témoigner, par exemple. C’est pas toujours facile, mais ils ont le droit de le faire et il faut les encourager à le faire.»
Recours au tribunaux et pistes de solutions
Quels sont les recours du locataire évincé ? Parfois, il n’a d’autre option que de se tourner vers les tribunaux. « C’est une petite partie des cas de reprise qui vont être portés au tribunal, nuance Arnaud Duplessis Lalonde. Dans la grande majorité des cas, il y a une entente. Le locataire présume de la bonne foi du propriétaire. Le tribunal aussi. Il y a une entente signée ou un jugement qui va accorder la reprise. »
La coordonnatrice du comité logement Action dignité de Saint Léonard, Sylvie Dalpé, croit quant à elle que les locataires floués doivent tout de même tenter leur chance. « Si ce n’est pas la bonne personne qui habite le logement [après la reprise], ils devraient avoir recours au tribunal. Il y a même des cas de jurisprudence qui sont allés jusqu’à 50 000$ d’amende », illustre-t-elle.
Les organismes en logement ne manquent pas de solutions pour contrer ce phénomène et proposent des mesures concrètes. « Dans les comités logement en général, on pense qu’un registre et un contrôle obligatoire des loyers pourrait participer à régler le problème. Parce que le but de toutes ces manœuvres, c’est de monter le prix des loyers. Parce qu’il n’y a aucun contrôle là-dessus, les propriétaires vont continuer d’agir de cette façon-là », soulève Melissa White.
Pour sa part, Arnaud Duplessis-Lalonde souhaite l’instauration d’un moratoire sur les reprises « tant et aussi longtemps qu’on va être dans un contexte de pénurie de logements et que le taux d’inoccupation sera en bas de 3%. C’est le taux d’équilibre dans le marché locatif pour les rapports de pouvoir entre le propriétaire et le locataire », conclut-il.