COOPÉRATIVES DE TRAVAIL : DONNER UN SENS À L’EMPLOI AU QUOTIDIEN
Créées au milieu du 19e siècle par des artisans lors des soubresauts de la Révolution industrielle en Europe, les coopératives de travail gardent aujourd’hui toute leur pertinence avec la nouvelle réalité du marché de l’emploi. Si leur but premier était de permettre aux prolétaires de se réapproprier leur force de travail, les coopératives actuelles visent également à donner aux travailleurs un sens plus profond à leur gagne-pain.
En adoptant le modèle de la coopérative, les travailleurs s’assurent que l’emploi qu’ils occupent demeure en parfaite harmonie avec leurs valeurs les plus profondes. Cette philosophie est au cœur même de la mission du Réseau COOP, une fédération fondée en 2017 qui chapeaute actuellement 220 coopératives de travail à travers le Québec.
L’est de Montréal a d’ailleurs vu plusieurs organisations adopter ce modèle sur son territoire. C’est le cas de la firme d’ingénierie ALTE, installée dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. Cette dernière s’avère d’ailleurs la seule coopérative de travail œuvrant en ingénierie au Québec.
Comment s’y prendre pour démarrer une coop?
Mais comment s’y prendre si on est un entrepreneur qui souhaite « fonctionner autrement »? Quelle serait la première étape à considérer avant de lancer sa propre coopérative de travail? Selon Isabel Faubert Mailloux, directrice générale (DG) du Réseau COOP, il faut d’abord faire à tout prix « la boussole entrepreneuriale ». Cet outil gratuit disponible sur le web permet aux aspirants entrepreneurs de découvrir leur profil en répondant à 14 questions. Toutefois, la DG rappelle qu’il est important que tous les membres qui souhaitent fonder une coopérative se prêtent à l’exercice : « Tout le groupe devrait faire le test et ensuite comparer leurs résultats. L’idée est de savoir si vous avez effectivement la même vision de votre projet. »
La prudence est donc de mise avant de se lancer car, selon Mme Faubert Mailloux, « les entrepreneurs ont parfois une vision sociale, mais ce sont des entrepreneurs individuels dans le fond. Ils ne sont pas faits pour le modèle coopératif. » C’est sans doute pourquoi ce modèle ne saurait se limiter aux aspirations d’une seule personne. « Il faut s’assurer qu’il y ait un collectif autour, pas une seule personne qui porte le projet pour les autres. C’est important de valider ça avec le groupe au départ, pour que le pouvoir soit réparti dans le groupe et que les gens aient une volonté commune de s’impliquer dans le projet », précise Isabel Faubert Mailloux.
Une fois cette étape franchie, les entrepreneurs peuvent participer à un programme de formation mis de l’avant par le réseau, nommé Parcours COOP et réparti en 14 ateliers hebdomadaires. Des questions fondamentales y sont entre autres abordées. Comment démarrer une coopérative de travailleurs? Comment la gérer? « Ces 14 semaines essentielles permettent aux futures coopératives de rédiger un plan d’affaires complet à présenter à des partenaires financiers », ajoute la DG du Réseau COOP.
La démocratie en milieu de travail
Une fois le projet lancé, les membres seront à même de découvrir les avantages d’une telle organisation, assure Mme Faubert Mailloux. «Et les gens qui choisissent un modèle de coop de travail, c’est souvent des gens qui ont expérimenté des milieux de travail toxiques où on les prenait pour des numéros », avance-t-elle.
Cela dit, elle tient à préciser que des hiérarchies sont tout de même possibles à l’intérieur d’une coopérative de travail, comme par exemple des postes à la direction générale. Toutefois, l’approche n’est pas la même que dans une entreprise « traditionnelle ». « Il y a toujours un contre-pouvoir. Le conseil d’administration, composé de travailleurs, embauche, choisit et évalue la direction générale. Ça empêche cette dernière d’avoir un pouvoir omnipotent. »
La coopérative ALTE, quant à elle, propose un modèle de « gouvernance horizontale », comme nous l’explique la responsable du comité de gestion, Abrielle Sirois-Cournoyer : « On n’a pas de DG. On a un comité de coordination composé de trois personnes qui chapeautent trois comités : gestion, communication, projets. Dans ces comités-là, les membres peuvent s’impliquer, amener leur vision, leur opinion. Ils peuvent prendre des décisions sur l’orientation de la compagnie. »
Se créer du travail… avec un sens
D’ailleurs, selon Isabel Faubert Mailloux, la démocratie, l’égalité, l’équité et la solidarité sont les valeurs fondamentales de toute bonne coopérative. « Il y a beaucoup d’entraide entre les coopératives, des volontés d’agir en consortium pour faire des projets d’envergure. J’ai vu beaucoup de coopératives partager leur plan d’affaires avec une autre pour l’aider », explique-t-elle.
Bien qu’elle considère ce système collectif des plus pertinents de nos jours, elle se dit aussi consciente de l’évolution de la mission des coopératives de travail au fil des ans. « Aujourd’hui, dans un contexte de plein emploi, l’idée n’est pas tant de se créer du travail que de se créer du travail avec un sens qui répond aux aspirations des travailleurs. C’est à ça que le système coopératif répond. »
Même son de cloche pour la firme ALTE, qui privilégie quant à elle les projets ayant un impact environnemental et social. « L’humain est au centre des projets », résume Abrielle Sirois-Cournoyer. À cette mission s’ajoute une autre valeur essentielle pour la coopérative d’Hochelaga-Maisonneuve : la transparence. « Une transparence vis-à-vis des membres, des employés, mais aussi une transparence envers ceux avec qui on travaille, comme nos collaborateurs et nos clients. »
Les clients d’ALTE, s’ils partagent la philosophie environnementale et sociale de la coopérative, ne sont pas nécessairement tous issus des milieux communautaires, précise Abrielle Sirois-Cournoyer. « On a des clients plus « traditionnels », mais qui ont quand même une volonté d’optimiser leurs bâtiments, leur consommation d’électricité. On est vraiment à l’écoute pour savoir jusqu’où ils sont prêts à aller. On a le rôle d’informer, d’éduquer. »
Les nouveaux défis
Selon Isabel Faubert Mailloux, le système coopératif doit maintenant composer avec un défi bien contemporain : la reprise d’entreprise. « C’est aussi un enjeu de société. Avec les départs à la retraite, le choc démographique, il manque de repreneurs d’entreprise. Il faut trouver de nouveaux modèles. Il faut que la coopérative soit vue comme un modèle crédible pour assurer la reprise. »
Aussi considérable soit-il, ce défi n’arrive pas seul, ajoute-t-elle. « L’autre défi, pour nos petits collectifs, serait peut-être la mutualisation, c’est-à-dire accompagner les coopératives à travailler entre elles pour développer une plus grande force de frappe dans les marchés », conclut la DG du Réseau COOP.