Ces deux immeubles appartiennent à la coopérative d’habitation L’entrepont à Montréal-Nord (Courtoisie Meghan Scott)

COOPÉRATIVE D’HABITATION : UN MODÈLE D’AUTONOMIE QUI NE CONVIENT PAS À TOUS

Destinée à répondre aux besoins de ses membres, tout en leur assurant un logement à prix abordable en échange de leur participation à la gestion de l’immeuble, la coopérative d’habitation offre un mode de vie autonome et responsable, mais parfois difficile à faire respecter. 

Étant donné qu’il est souvent compliqué pour des personnes à faible revenu d’acquérir un immeuble, les coopératives d’habitation bénéficient d’aides financières gouvernementales. « Le gouvernement donne 40 % et la municipalité 20 %. On est donc à près de 60 % du financement. Le restant se fait grâce à une hypothèque. Mais en réalité, pour que le montage financier fonctionne, il faut toujours trouver un ou deux autres partenaires comme le ministère de l’Économie, la Caisse d’économie solidaire ou encore la Société d’habitation du Québec », explique Sandra Turgeon, directrice générale de la Confédération québécoise des coopératives d’habitation (CQCH). Chaque résident participe financièrement à rembourser l’hypothèque par l’entremise du paiement de son loyer. Le prix moyen du loyer pour un 4 et demie dans une coopérative d’habitation est de 596 $, selon une enquête de la CQCH réalisée en 2022. « On vise à se situer entre 75 % et 95 % du loyer médian du secteur selon les données du gouvernement du Québec », indique Mme Turgeon.

« En tant que coopérative d’habitation, on est capable de proposer des loyers aussi bas car on fait une évaluation des coûts pour les projets de rénovation et d’entretien pour les années à venir. Puis, on évalue combien on a dans la réserve de remplacement et s’il nous manque de l’argent, on indexera un peu plus les loyers », ajoute-t-elle.

Sandra Turgeon, DG de la CQCH (Courtoisie Clark Photographie)

Pour qui ?

Quel que soit son statut financier ou social, tout le monde peut déposer une demande afin d’intégrer une coopérative d’habitation. Le désir d’implication est le premier critère de sélection. « Entre deux ménages qui ont la même situation économique, celui qui démontre une plus grande implication dans la coopérative sera priorisé. Les coopératives cherchent à aider les plus démunis, mais toujours en renforçant la vie associative », souligne la DG de la CQCH. 

Et si un membre veut bénéficier, en plus, d’une subvention pour son loyer, il doit répondre à certains critères d’éligibilité, comme le salaire, l’âge ou le nombre de locataires dans l’appartement. « Dans ma coopérative d’habitation, le loyer moyen est de 995 $ par mois avant l’application du rabais membre de 200 $ par mois », explique Meghan Scott, membre de la coopérative d’habitation L’entrepont, située à Montréal-Nord. Cette dernière possède 30 appartements dont des 3 et demie, des 4 et demie et des 5 et demie. 

Les missions

Les membres doivent investir en moyenne 14 heures de leur temps par mois à leur coopérative d’habitation, d’après la dernière enquête de la CQCH. 827 coopératives d’habitation sont membres de la CQCH sur les 1 300 existantes à travers le Québec. 

Collecter les loyers, entretenir le bâtiment, s’assurer de payer les fournisseurs, confier des contrats à des gestionnaires… Chaque résident est responsable d’une ou plusieurs missions en plus de faire partie d’un comité : conseil d’administration, comité Sélection, comité Secrétariat ou encore comité Finances, pour ne citer que quelques exemples. De plus, les membres se divisent les tâches manuelles et ménagères. « On n’a pas de concierge. C’est donc aux locataires de se relayer pour entretenir les aires communes », explique Meghan Scott. 

Cette dernière siège au CA de sa coopérative d’habitation, composé de cinq administrateurs. « On a été élus par les 30 membres de notre coopérative pour un mandat de 2 ans », explique-t-elle. 

Un investissement contraignant pour certains

Meghan Scott, membre de la coopérative d’habitation L’entrepont à Montréal-Nord (Courtoisie)

Ce mode de vie, qui favorise l’autonomie, l’entraide et le bon voisinage, ne convient pas à tous, alors que « 75 % des membres refusent de s’impliquer et d’exécuter les tâches qui leur sont assignées »,  selon Meghan Scott. Son CA est désormais contraint de s’occuper de toutes les tâches administratives, de la sélection des nouveaux membres et de la gestion des finances, pendant que les autres 25 membres se partagent les tâches d’entretien. 

Depuis son emménagement il y a 10 ans, la résidente a vu un grand nombre de locataires ne pas respecter leur contrat de membres. « Beaucoup de locataires résidaient dans l’immeuble lorsqu’il était loué au privé, avant que ça devienne une coopérative, et ils ont eu de la difficulté à s’adapter à ce modèle. Je me retrouve constamment à devoir motiver mes voisins à exécuter leurs tâches. Souvent, ils me répondent qu’ils n’ont pas le temps… », raconte-t-elle.

Une problématique généralisée

« Le problème est que beaucoup de personnes perçoivent les coopératives d’habitation comme une façon pas chère de se loger. Beaucoup de gens assimilent ce modèle aux HLM, alors que ça n’a rien à voir, ce n’est pas la même implication », s’irrite Meghan Scott. 

Juridiquement, il est possible d’expulser un locataire qui ne respecte pas son contrat de membre. « La clause de départ, une partie de la loi coopérative régit par le Tribunal administratif du logement (TAL), donne le droit au CA d’ordonner au locataire de quitter son logement à la fin de son bail », explique la résidente. 

Mais dans la pratique, c’est différent. « On attend actuellement la décision de la Cour supérieure concernant une membre vivant dans une autre coopérative d’habitation, qui a été exclue, mais qui ne veut pas quitter les lieux. On attend de voir si la loi coopérative l’emportera sur le Code civil, qui prévoit qu’une personne exclue [d’une coopérative en tant que membre] a [tout de même] le droit [de demeurer sur] les lieux », précise-t-elle. 

Malgré cette tendance, Meghan Scott garde tout de même espoir. Pour preuve, elle travaille actuellement sur le développement d’une nouvelle coopérative d’habitation sur la Rive-Nord. « On s’assure que chaque nouveau membre soit vraiment en accord avec les valeurs de ce mode de vie », conclut-elle.


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