Manon Daneau et Camille Goyette-Gingras, co-fondatrices de la Coop Couturières Pop. (Photo : EMM).

UNE COOPÉRATIVE POUR AMÉLIORER LE SORT DES COUTURIÈRES

Lorsque Camille Goyette-Gingras et Manon Daneau se sont données rendez-vous le 21 juin dernier pour un petit déjeuner, aucun plan, aucune ligne n’était écrite annonçant le lancement d’une entreprise d’économie sociale dont la mission serait d’offrir de meilleures conditions de travail aux couturières œuvrant dans le vaste domaine de l’industrie textile. Pourtant, à peine un mois plus tard, Coop Couturières Pop avait déjà pignon sur rue au coin de Sainte-Catherine et Théodore, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, et les machines à coudre martelaient allègrement les tissus de toutes sortes.

Mais que s’est-il produit pour qu’un tel projet s’érige aussi rapidement? « Plusieurs choses, mais la principale, c’est que nous avions une opportunité en or de mettre la main sur des machines à coudre de qualité pour vraiment pas cher, à la suite malheureusement de la fermeture de l’atelier où Manon travaillait. Mais il fallait que l’achat se fasse en dedans d’un mois », explique Camille Goyette-Gingras, qui elle travaillait à son compte depuis quelque temps comme couturière après avoir laissé un emploi d’assistante de marque dans une entreprise manufacturière du quartier qui produit notamment de la literie. « Une entreprise bien connue mais qui, à l’instar de plusieurs entreprises québécoises du milieu du textile, offre aux couturières des conditions de travail exécrables. Manon a également travaillé pour cet employeur, c’est comme cela d’ailleurs que nous nous sommes connues », dit-elle.

Changer le monde… de la couture

Si l’opportunité s’est présentée d’acquérir une bonne partie de l’inventaire nécessaire au démarrage d’un atelier (les deux co-fondatrices avaient tout de même déjà passablement de matériel), la mise sur pied rapide de la coopérative de travail est aussi et surtout le fruit d’une « écoeurantite aiguë » des deux professionnelles de la couture « tannées de tirer le diable par la queue, de travailler des heures de fou pour un salaire de moins de 30 000 $ par année, sans avantages sociaux minimums, et de voir que le métier ne va nulle part », clame Camille.

Pourtant, selon les deux fondatrices de Coop Couturières Pop, la demande dépasserait largement l’offre depuis plusieurs années au Québec pour les services de confection de vêtements et de « linges » de maison. Pourquoi alors les conditions de travail sont-elles si problématiques? « Parce que c’est la loi du coût de production le plus bas. C’est bien connu, on lutte contre des ateliers africains et asiatiques, notamment, qui produisent un chandail pour 25 cents, alors qu’ici c’est 5 $. Ensuite, même si des entreprises d’ici veulent produire leurs lignes au Québec, il n’y a presque plus de couturières, la moyenne d’âge est de plus de 60 ans dans notre métier et il n’y a pratiquement pas de relève, donc ce que l’on voit actuellement, ce sont des ateliers où il y a beaucoup de femmes immigrantes qui acceptent des conditions que bien des Québécois ou Québécoises n’accepteraient pas, surtout en période de plein emploi comme maintenant, et il y a inévitablement beaucoup de travail au noir qui se fait dans ces circonstances », soutient Camille.

Compte tenu de cette situation, pas étonnant donc que le métier n’attire plus les jeunes. « Il y a bien la formation des gens dans les métiers de la mode, mais ils ne veulent pas devenir couturiers, ils veulent devenir designers. Le problème, c’est que les écoles ne font pas la promotion du métier de couturière, alors que c’est en soi un très beau et noble métier, même s’il reste beaucoup de travail à accomplir pour améliorer les conditions de ces professionnelles », avance pour sa part Manon Daneau.

Améliorer les conditions de travail des couturières et « glamouriser » le métier, tels sont donc les principaux objectifs de ces deux résidentes du quartier, qui habitent à quelques pas du nouvel atelier. Le modèle coopératif s’est ainsi imposé dès le départ, pour des raisons évidentes. « C’est sûr que ça nous permet d’offrir de meilleures conditions de travail en partant, car les couturières deviennent aussi propriétaires de l’entreprise, c’est ça le concept. Donc elles ont leur mot à dire dans le fonctionnement de la coop, et si l’entreprise est performante financièrement, elles en retirent aussi des ristournes. Ce que l’on recherche, ce sont des professionnels de la couture qui maîtrisent le métier, qui veulent évoluer dans l’entreprise à long terme et qui partagent nos valeurs », affirme Camille.

Le recrutement, même s’il est difficile admettent les fondatrices de la coopérative, va tout de même bon train car après seulement trois mois d’opérations, une troisième coopérante s’est ajoutée et un couturier est en voie de joindre le groupe. « C’est sûr qu’il y a aussi le volet financier qui entre en ligne de cause, car nous n’avons pas les liquidités pour embaucher plusieurs personnes à la fois, mais on va y arriver », soutient Camille, une passionnée de politique qui s’était d’ailleurs présentée à la dernière investiture du Bloc Québécois dans Hochelaga, remportée par Simon Marchand.

Pour améliorer les conditions de travail des couturières, les revenus doivent inévitablement être au rendez-vous. Est-ce que les clients sont prêts à payer plus pour faire affaires avec la coopérative, d’ailleurs la seule du genre au Québec en ce moment? « Oui, bien sûr dans une certaine limite. Notre clientèle, c’est celle qui a un souci d’impact environnemental, celle pour qui la production locale est importante, qui a des valeurs sociales. Et il y en a de plus en plus. Par contre il y a de l’éducation à faire car il faut comprendre que nous sommes parfois tributaires des tissus à recevoir, de certaines choses que nous ne contrôlons pas, nos exigences dans les délais de paiement vont être plus courts, 30 jours pas 90, que nous ne sommes pas 200 couturières et qu’on ne pourra pas produire des quantités immenses, etc. Il faut surtout changer la vision que l’atelier de couture, c’est le maillon cheap de la chaîne, et faire prendre conscience que la production dans des sweatshops étrangers, eh bien cela a un coût sur l’environnement mais aussi sur l’économie locale », explique Camille. Le rêve ultime de cette dernière est d’ailleurs « de faire mouche dans le milieu des manufactures de vêtements avec le modèle coopératif et voir naître un jour, pourquoi pas, une coopérative de solidarité conjointe dans ce secteur pour assurer une certaine santé du métier de couturière, et lui redonner, surtout, ses lettres de noblesse. »

Services de la coopérative

Quoique le principal créneau de Coop Couturières Pop demeure la sous-traitance manufacturière pour les entreprises de mode, ses membres offrent aussi, lorsqu’ils le peuvent question horaire, le service d’altérations et de réparations de vêtements pour le public. Vous pouvez vous renseigner en passant à leur local ou en téléphonant. Il y aura aussi des cours de couture qui seront offerts dès janvier prochain, et vous pouvez déjà vous procurer quelques réalisations de leur cru créées à partir de retailles de tissus dans un esprit « zéro déchet » tels que des sacs à sandwich, sacs d’épicerie, serviettes démaquillantes, etc., en vente à leur boutique sur place ou via leur boutique en ligne.

facebook.com/coopcouturierespop/

https://coopcouturierespop.com/ (site en construction)


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