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5 février 2025QUELLES SERONT LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE TARIFAIRE DANS L’EST?
Bien que l’application des tarifs de douane ait été suspendue pour une période d’un mois par les États-Unis, la menace plane toujours et met en péril plusieurs pans de l’économie québécoise. Les entreprises de l’est, notamment celles du secteur manufacturier, n’échappent pas à cette incertitude et craignent les contrecoups d’une éventuelle guerre tarifaire.
Pour Jean-Denis Charest, président-directeur général de la Chambre de commerce de l’Est de Montréal (CCEM), l’annonce du report des frais de douane de 25 % sur les produits canadiens en direction des États-Unis est une bonne nouvelle, car ce sursis permettra aux entreprises et aux gouvernements d’entreprendre différentes mesures qu’ils pourront « mettre en place pour réduire l’exposition aux enjeux commerciaux ».

Jean-Denis Charest, PDG de la CCEM (Courtoisie)
Toutefois, il ne faut pas se leurrer et penser que la situation se réglera rapidement, souligne-t-il. « Il ne s’agit pas d’une situation qui ne va durer qu’un moment, c’est une période qui risque de durer des mois, voire des années. La situation géopolitique que nous vivons avec les États-Unis, c’est aussi avec le reste des marchés mondiaux. Il faut développer un plan à court, moyen et long terme. Le court terme, ce sera de travailler sur l’opinion publique, notamment auprès des réseaux des affaires américains et de renforcer nos liens avec les lobbys », explique le PDG de la CCEM.
À son avis, la guerre tarifaire déclenchée par le président américain Donald Trump vise entre autres à rétablir la dominance des États-Unis dans certains secteurs économiques, particulièrement au niveau de la production manufacturière. Plusieurs données pointent en ce sens, par exemple, la réduction des impôts fédéraux pour les entreprises, qui passerait de 21 % à 15 %. La déréglementation anticipée sur les normes du travail et sur l’environnement risque d’exercer une pression plus forte sur l’environnement des affaires au Québec, craint M. Charest.
En début de semaine, la CCEM proposait quelques mesures pour mieux affronter l’incertitude sur les marchés internationaux. On suggérait, entre autres, le déploiement rapide de programmes d’appui ciblés aux entreprises et travailleurs touchés par les tarifs et contre-mesures; d’assurer la compétitivité de l’environnement d’affaires canadien et québécois, notamment par la mise en place de crédits d’impôt et le lancement d’un grand chantier pour accélérer la diversification des marchés d’exportation; et de favoriser le commerce interprovincial.
La CCEM recommande aussi des investissements dans la productivité de la chaîne logistique, la priorisation d’une approche favorisant les fournisseurs locaux dans les politiques d’achats des gouvernements et organismes parapublics. Elle ajoute aux solutions l’accélération des projets d’infrastructures dans l’est de Montréal, particulièrement en transports (prolongement de la ligne bleue, tramway de l’est, mise à niveau des rames de métro sur la ligne verte).
Les secteurs les plus touchés dans l’est
Selon M. Charest, les secteurs de l’est de Montréal les plus à risque de souffrir d’une guerre tarifaire sont ceux de la logistique, de la manufacture et de l’agroalimentaire. « Malheureusement, le secteur manufacturier fait partie de la stratégie pour revitaliser l’est. Une de nos études fait état de plus de 20 000 emplois dans ce secteur-là », note-t-il.
Du côté de l’Association industrielle de l’Est de Montréal (AIEM), c’est avec beaucoup d’anticipation que l’on observera la situation évoluer entre le Canada et les États-Unis. D’importants acteurs dans le domaine pétrochimique sont représentés par cette association, dont Shell Canada Limité, Suncor et Valero. Ce dernier gère un terminal pétrolier à Montréal-Est, doté d’une capacité de stockage de plus de 5 millions de barils de pétrole brut et de produits raffinés, ce qui en fait le plus grand terminal de ce type au Canada. Il dessert le Québec, l’Ontario et les États-Unis.

Dimitri Tsingakis, PDG de l’AIEM (Courtoisie)
Selon Dimitri Tsingakis, PDG de l’AIEM, « l’application de tarifs ne fera que des perdants des deux côtés de la frontière ».
« Il est difficile d’évaluer l’impact de ces mesures à court terme, étant donné l’intégration des chaînes d’approvisionnement », souligne-t-il. Ce dernier invite le gouvernement canadien « à bien évaluer l’ajout de fardeaux réglementaires additionnels aux entreprises durant cette période trouble ».
Pour certains manufacturiers, l’imposition de droits de douane à la frontière canado-américaine risque de faire mal dans les deux directions. « L’exportation est une chose, mais l’importation de matières premières est un autre enjeu. Si le Canada réplique et décide d’imposer un 25% de tarif douanier à son tour sur les importations de produits des États-Unis, ça risque d’être un énorme problème », se désole Francis Bluteau, cofondateur de la distillerie BluePearl.
Ce dernier indique qu’il est impossible pour son entreprise de modifier son prix de vente comme bon lui semble à la Société des alcools du Québec (SAQ). « C’est donc de dire qu’il faut absorber le tout, le temps que le prix soit modifié en SAQ. Il y a des révisions de prix possibles, mais pour des dates fixes à chaque 6 mois. »