Alia Hassan-Cournol (photo courtoisie)

CONJUGUER HUMANISME ET POLITIQUE : LA QUÊTE D’ALIA HASSAN-COURNOL

La conseillère de Ville du district de Maisonneuve–Longue-Pointe, Alia Hassan-Cournol, qui a succédé à sa collègue de Projet Montréal Laurence Lavigne Lalonde (aujourd’hui mairesse de l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension), est un des piliers de la formation de Valérie Plante depuis l’entrée en politique de cette dernière, et fait toujours partie de la garde rapprochée de la mairesse. Élue pour la première fois en 2021, elle devient notamment la première femme d’origine arabe à accéder au Comité exécutif à titre de Conseillère associée à la mairesse, et pilote également plusieurs dossiers à la Ville Centre liés à la diversité, à l’immigration et à la réconciliation avec les peuples autochtones. Nous l’avons rencontrée jeudi dernier à son bureau d’arrondissement, question d’en connaître davantage sur le parcours de cette jeune politicienne en pleine ascension.

EST MÉDIA Montréal : Votre profil professionnel indique que vous êtes d’origine franco-égyptienne. Ça fait longtemps que vous êtes installée au Canada, à Montréal?

Alia Hassan-Cournol : Je suis née à la fin des années 1980 en banlieue de Paris, dans une cité. Mes parents étaient de la classe moyenne. Mon père est Égyptien musulman, ma maman Française chrétienne. Ce qui n’est pas banal mais très possible (rires). Ils ont trouvé un bel équilibre là-dedans et ce sont eux qui m’ont évidemment inculqué les deux cultures. Je me rappelle que j’allais à la mosquée de temps en temps, alors que certains dimanches j’allais à l’église avec ma grand-mère. Ça m’a certainement donné une énorme ouverture d’esprit. Et comme mes parents étaient assez éduqués et qu’ils voyageaient beaucoup, ils avaient déjà cette ouverture sur le monde. Il faut spécifier ici qu’ils travaillaient dans le tourisme d’affaires pour de grandes entreprises et des diplomates d’un peu partout.

Pour répondre à votre question, donc, j’ai quitté la France à 19 ans, en 2009, alors que ma mère venait de décéder d’une assez longue maladie. J’avais vraiment envie d’autre chose à ce moment-là et comme le Canada m’attirait depuis quelques années déjà (ma mère avait aussi un œil sur le Canada, surtout le Québec), je me suis inscrite à l’université à Toronto en relations internationales. C’était chouette Toronto, mais je trouvais que finalement, ça manquait d’âme et je n’arrivais pas à prendre ancrage, sans compter que les frais de scolarité étaient énormes. Comme il y avait un accord entre la France et le Québec au niveau des étudiants étrangers, je me suis dit qu’il fallait mieux en profiter pour le reste de mes études et je suis donc atterrie à l’UQAM en 2011 en sciences politiques.

EMM : Comment êtes-vous entré dans l’arène politique montréalaise?

AHC : Il faut se rappeler qu’au moment de mon arrivée à l’UQAM, on est en pleine révolutions arabes. Je vis alors à cette époque une sorte de résurgence identitaire et ce qui se passe en Égypte particulièrement m’interpelle énormément. Les questions de liberté, de démocratie, de liberté d’expression, de droits humains, ont toujours été fondamentales dans tout ce que j’ai entrepris. Je me sentais donc affectée dans ma chair, carrément. Je me suis alors beaucoup engagée auprès de groupes de défense des droits humains comme Amnistie internationale, par exemple.

Un an plus tard, en 2012, arrive donc le printemps érable… Et cela sera pour moi un facteur d’intégration déterminant. Je me suis alors intéressée au système politique québécois, aux mouvements de mobilisation, aux syndicats, aux politiques sociales, etc. C’était facile pour moi également de faire un parallèle avec ce qui se passait en Égypte, en Tunisie. Il y avait eu par ailleurs de grandes mobilisations ici de ces communautés et je voyais qu’il y avait des liens de solidarité qui se nouaient entre certains mouvements de gauche. Mon implication politique au Québec, elle a commencé comme ça.

Je poursuis alors mes études de maîtrise en relations internationales, et ma thèse porte justement sur l’implication des Égyptiens et des Tunisiens à Montréal pendant le printemps arabe. Je débute ensuite un doctorat et je travaille en même temps au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM). C’est là que je découvre que j’ai vraiment la piqûre des coulisses du pouvoir et de la stratégie politique. J’étais persuadée à ce moment-là que j’allais dédier ma carrière à l’international. Par contre, je me rends compte aussi que le doctorat, ce n’est pas pour moi, c’est trop long et ce qui m’intéresse, c’est le contact humain, comprendre l’humain, s’engager pour des causes, améliorer finalement le sort des gens, des communautés.

Un jour, alors que je fais le trajet Québec-Montréal en auto, j’entends à la radio un animateur bien connu commenter les aspirations politiques de Valérie Plante en l’appelant « cette petite-là », « sortie d’on ne sait où », etc. Celle qui veut battre Denis Coderre « pourtant un grand homme qui a mis Montréal sur la mappe à l’international », et ainsi de suite. Ça m’avait vraiment choqué cette attitude. Je me disais on est à Montréal, en 2017, il me semble que la première chose en politique qu’il ne faut jamais faire c’est de sous-estimer l’adversaire, et surtout que les gens sont prêts pour élire une femme à la tête de la métropole. En fin de journée, alors que je vais chercher un colis dans une pharmacie pas loin de chez moi, je tombe nez à nez devant… Valérie Plante! Quelles sont les chances? On a commencé à jaser et on s’est rendu compte que nous avions plein de valeurs en commun. On a gardé contact et je me suis rapidement retrouvée au cabinet de l’opposition comme attachée politique. J’ai carrément eu un coup de foudre professionnel pour cette femme.

EMM : Et ensuite, c’est la consécration de Valérie Plante. Mais vous ne vous êtes pas portée candidate en 2017, pourquoi?

AHC : Simplement parce que je n’avais pas encore la citoyenneté canadienne. Mais je m’impliquais à fond. Durant la campagne, je bâtissais l’agenda de Valérie, j’ouvrais des réseaux de contacts pour nous aider à l’élection… et finalement on a gagné! Je reste au cabinet pendant deux ans et demi, je m’occupe particulièrement des dossiers des relations avec les peuples autochtones, de l’immigration, de la diversité et de la sécurité publique.

Mais à un certain moment, j’ai envie de gestion, de décision, de « caller des shots » et surtout de retourner « à l’humain », de travailler concrètement à améliorer certaines conditions malheureuses que peuvent vivre des groupes de personnes. Comme ceux qui arrivent ici et qui ne trouvent pas de conditions gagnantes pour s’intégrer à leur nouveau pays. Alors je me taille une place comme directrice générale de l’organisme ALPA (Accueil Liaison Pour Arrivants), poste que j’occuperai de 2019 à 2021. Mon expérience politique a alors été très utile, car en pleine pandémie, c’est la gestion de crise. Les demandeurs d’asile sont bloqués aux frontières, les classes de français sont fermées, le gouvernement à l’époque ne sait pas trop comment gérer la crise humanitaire et nous, bien, on se retrouve en première ligne…

Mais! En 2021, eh oui, la piqûre de la politique reviens me hanter et comme j’ai maintenant la citoyenneté canadienne, Valérie Plante me propose de me lancer comme candidate, et le maire de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, Pierre Lessard-Blais, en fait autant. Le district Maisonneuve–Longue-Pointe est libre et pour moi il fait du sens, car la mixité sociale y est importante, et je me sens à l’aise dans ce genre de milieu, compte tenu de mon historique en banlieue parisienne. J’ai alors envie qu’on s’intéresse à ceux qu’on ne s’intéresse jamais, comme les enclaves que sont les quartiers Guybourg et Haig-Beauclerk. Finalement, je suis élue avec une majorité assez confortable.

En pause « chill » à l’été 2021 avec les deux autres élus de Projet Montréal dans MHM, le maire d’arrondissement Pierre Lessard-Blais et le conseiller Éric Alan Caldwell (photo tirée de la la page Facebook d’Alia Hassan-Cournol)

EMM : Travailler en coulisses d’une administration municipale c’est une chose, mais être élue et représenter la population en est une autre. Comment voyez-vous votre rôle à présent?

AHC :  Ce que j’essais d’amener dans notre trio (NDLR : les élus de Projet Montréal dans MHM, soit Pierre Lessard-Blais et Éric Alan Caldwell), c’est de ne jamais oublier de remettre l’humain au cœur de nos décisions. Oui il y a de grands enjeux, beaucoup de stratégie, de l’infrastructure, du transport, de la cohabitation industrielle, mais il y a du monde qui vit au milieu de tout ça. Moi ce sont ces gens que j’ai envie de servir, surtout les plus vulnérables, même si bien sûr on doit développer l’est de Montréal, faire des gains en développement économique, en habitation, en récréo-tourisme, etc. Je ne veux pas être de ces politiciennes qui disent aux gens ce qu’ils veulent entendre. Je ne suis pas là pour ça. Je crois que, malgré les contraintes réglementaires qui ne font pas toujours notre affaire, et des contextes qui sont devenus ce qu’ils sont pour plein de raisons, on se doit de faire le mieux possible pour améliorer le sort de nos concitoyens. C’est ce que je m’efforce de faire chaque jour.

EMM : Avec le conflit israélo-palestinien qui embrase actuellement les deux hémisphères, qu’elle est votre position à ce sujet?

AHC : Je condamne vivement la poursuite des bombardements à Gaza, il faut que ça arrête, c’est plus qu’urgent là, c’est une question d’humanité. Tout comme j’ai condamné aussi vivement l’attaque du Hamas. Et ce qui m’inquiète également, ce que je ne veux pas vivre ici, c’est ce qu’on a pu vivre par exemple en France, cette idée de l’exportation du conflit. On a pas besoin d’être là-dedans à Montréal. Oui tout le monde a droit à ses opinions, de les exprimer, mais il faut que ce soit fait dans un cadre qui exclut la violence. Moi, ce que je veux surtout représenter, c’est l’ouverture qu’il y a dans ces communautés-là. Parce qu’elle existe, les gens la clament, ils sont heureux d’être à Montréal, de se sentir Montréalais, Québécois, de contribuer à notre société. Ce que j’entends toujours sur le terrain, c’est qu’il faut qu’on trouve le moyen de se parler, de dialoguer. C’est sur ça qu’il faut travailler en ce moment.

EMM : Quels sont les plans d’avenir pour Alia Hassan-Cournol?

AHC : Il me reste deux ans de mandat, et je dirais que je me sens au bon endroit, au bon moment, et dans la bonne chaise en ce moment. Mais je ne suis pas encore certaine de la forme que prendra mon implication pour la prochaine élection.

EMM : Vous trouvez la fonction d’élue difficile?

AHC : La réalité d’être une conseillère municipale élue, pour une jeune femme racisée, j’avoue que ce n’est pas tous les jours facile. Il y a des enjeux de harcèlement, des commentaires assez durs sur les réseaux sociaux, et il faut en parler plus de ce problème-là. Tous les élus en sont victimes. Même si je me crée une certaine carapace, il y a des fois où j’ai besoin d’aller brailler à la maison, et je trouve ça tough. Le ton des gens, la façon de s’adresser à nous, ça se détériore de plus en plus. Même si j’aime ce que je fais, même si je suis convaincue de mon engagement et de ma volonté de vouloir faire évoluer le district et Montréal sur les enjeux qui m’intéressent, il y a des moments ou je trouve ça difficile et ça fait que je me questionne sérieusement. Mais on verra dans quelques mois.

EMM : Des adresses que vous aimez particulièrement dans MHM?

AHC : Plein! Chez Simon Cantine Urbaine, pour les burgers complètement décadents; le restaurant Hélicoptère, pour les grandes occasions; la boulangerie Aube sur Sainte-Catherine, la micro-brasserie Avant-Garde et la librairie Le Renard Perché, voilà spontanément quelques coups de cœur, mais il y en a beaucoup d’autres. Je suis très achat local!