
(Image tirée de la page Facebook de Bouffe-Action de Rosemont)
13 mars 2025LES CIRCUITS COURTS : UNE SOLUTION FACE À L’INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE
Depuis les trois dernières années, le prix des aliments ne cesse de grimper en flèche, notamment en raison de l’inflation et de la hausse des coûts de production. Les portefeuilles des citoyens sont ainsi mis à mal, et la situation impacte plus particulièrement les personnes en situation précaire. Dans le cadre de son dossier sur l’industrie bioalimentaire, EST MÉDIA Montréal s’est intéressé au rôle que peuvent jouer les circuits courts dans l’accroissement de la sécurité alimentaire.
Un circuit court désigne une chaîne de production et de distribution de produits alimentaires comprenant un nombre réduit d’intermédiaires entre le producteur et le consommateur. Préconisant ce système de production et de distribution et travaillant en sécurité alimentaire sur le territoire de l’est de Montréal, La Cuisine Collective Hochelaga-Maisonneuve (CCHM) exploite sept sites agricoles et cultive plus de 140 cultivars, offrant ainsi une variété de 40 légumes pour ses diverses activités. « On a fini l’année dernière avec 15 tonnes de légumes », révèle Benoist De Peyrelongue, directeur général de La CCHM.

Benoist De Peyrelongue, directeur général de La CCHM (Courtoisie)
Une fois récoltée, la production de l’organisme hochelagais ne parcourt pas plus de 5 km avant d’être utilisée, ce qui réduit considérablement son empreinte carbone. La production locale de saison est aussi davantage « pérenne et durable », explique M. De Peyrelongue.
« De plus, en privilégiant les produits de saison, nous permettons aux gens de mieux gérer leur budget alimentaire », ajoute le directeur général.
Une réponse locale aux défis économiques et alimentaires
En plus d’être écologiques, les circuits courts permettent une protection contre les hausses de prix dues à la spéculation sur les marchés mondiaux. « En contrôlant les prix localement, les producteurs peuvent maintenir une stabilité face aux fluctuations économiques mondiales », confirme M. De Peyrelongue. Les circuits courts favorisent la rentabilité de petites exploitations agricoles et soutiennent l’économie locale, en particulier en période de crise économique.
Le directeur général de La CCHM a bien sûr remarqué l’impact de la situation économique actuelle sur les activités de son organisme, notamment en voyant de nouvelles clientèles se présenter à ses points de services. « On voit des étudiants, des jeunes travailleurs et des jeunes familles se présenter avec un besoin de soutien en insécurité alimentaire, mais au-delà de ça, qui ont une perte de repères face aux pratiques des prix en magasin. »
Du côté d’Action Secours Vie d’Espoir, un comptoir alimentaire situé à la frontière de Mercier et de Pointe-aux-Trembles, on a aussi remarqué un certain changement au niveau de la clientèle. « Le visage de la pauvreté a beaucoup évolué ces dernières années », soutient le directeur général, Peter Batos. « Alors que les critères classiques de pauvreté persistent, on observe une nouvelle catégorie de bénéficiaires : des travailleurs coincés par des factures impayées et des taux hypothécaires élevés. » Par ailleurs, l’organisme a vu une augmentation de 35 % des nouveaux arrivants parmi ses bénéficiaires au cours de la dernière année.

Peter Batos, directeur général d’Action Secours Vie d’Espoir (Courtoisie)
Bouffe-Action de Rosemont, qui existe depuis plus de 30 ans dans le quartier et qui travaille à améliorer l’autonomie alimentaire des personnes vulnérables, abonde dans le même sens. « L’inflation a exacerbé la situation des ménages déjà vulnérables, entraînant une hausse de l’insécurité alimentaire », mentionne Éric Bédard, directeur du développement philanthropique chez Bouffe-Action de Rosemont. « L’augmentation des prix des aliments conduit à une réduction du budget alimentaire, ce qui a des conséquences sur la santé physique et mentale des familles, car les repas deviennent souvent moins nutritifs et les portions, réduites, ce qui génère du stress », explique-t-il.
Bien que Bouffe-Action de Rosemont ne soit pas un producteur de légumes, à l’instar de La CCHM, l’organisme s’approvisionne néanmoins en plusieurs produits locaux par l’entremise du modèle du circuit court, en particulier via le Pôle logistique alimentaire de Rosemont. « Cet organisme en alimentation récupère des invendus alimentaires et les redistribue rapidement à des partenaires dans l’est de Montréal, comme nous », précise M. Bédard.
En partenariat avec ses collaborateurs, Bouffe-Action de Rosemont fournit des produits frais à 2 500 ménages dans divers quartiers de Montréal. « On ne distribue pas directement des paniers alimentaires, mais on travaille en collaboration avec d’autres organismes pour approvisionner les gens dans le besoin », précise le directeur du développement philanthropique.
Action Secours Vie d’Espoir, qui distribue des paniers d’aliments à sa clientèle et qui fournit aussi des petits-déjeuners (chiffrés au nombre de 45 900 l’an dernier), priorise aussi les circuits courts, s’approvisionnant majoritairement dans les Jardins collectifs de Montréal-Est. « Les jardins sont situés juste en face de notre établissement, ça nous permet de mettre des produits fraîchement issus de la récolte directement dans les paniers alimentaires », rapporte M. Batos. De plus, comme Bouffe-Action de Rosemont, l’organisme collabore avec des épiceries locales pour récupérer les produits invendus encore consommables, ce qui renforce son approche orientée vers ce modèle raccourci de production et de distribution.

Éric Bédard, directeur du développement philanthropique chez Bouffe-Action de Rosemont (Courtoisie)
Éric Bédard nomme à son tour les jardins collectifs de Bouffe-Action comme un exemple de circuits courts, où les légumes sont cultivés localement et consommés dans un rayon d’un kilomètre. « De plus, on contribue à la sécurité alimentaire en cherchant à aider les gens à devenir plus autonomes en matière d’alimentation », précise-t-il. Cuisines collectives ou ateliers de cuisine pour parents ou femmes enceintes, l’organisme donne l’opportunité aux participants de travailler ensemble, de planifier des repas, de partager des tâches et de réduire leur facture d’épicerie.
Sa clientèle reçoit aussi des outils pour approfondir ses connaissances et ainsi reproduire les pratiques à la maison. Action Secours Vie d’espoir, qui gère aussi une cuisine collective, fait de même, fournissant à sa clientèle des fiches de recettes élaborées selon les différentes récoltes.
La logistique et l’avenir
Malgré tous leurs aspects positifs, les circuits courts comportent toutefois leur lot de défis, surtout en ville, souligne Benoist De Peyrelongue. Qu’il s’agissse de congestion routière ou de travaux municipaux, le transport des produits est parfois difficile et chronophage pour La CCHM. « Avec nos sept sites agricoles à gérer, le transport des légumes vers la centrale de conditionnement reste un casse-tête. Les fermiers qui livrent à Montréal doivent souvent consacrer plusieurs heures pour s’y rendre, ce qui représente un stress supplémentaire », mentionne le directeur général.
Pour Bouffe-Action de Rosemont, c’est plutôt la gestion des invendus qui nécessite une flexibilité logistique importante. « Heureusement, notre organisme profite de chambres froides et de camions réfrigérés, qui nous permettent de saisir des opportunités et de redistribuer les dons rapidement », note Éric Bédard. « En récupérant un petit peu plus d’une tonne chaque jour, on arrive à avoir un impact important dans l’est. Mais on sait que ça ne suffit pas à répondre aux besoins, donc on essaie de continuer à développer des services. »
Action Secours Vie d’espoir bénéficie récemment de nouveaux locaux, les précédents ayant été rénovés. L’organisme s’est aussi doté de réfrigérateurs plus grands, ce qui lui permet de mieux stocker ses denrées. Néanmoins, l’un de ses projets consiste à agrandir prochainement ses entrepôts en raison de l’augmentation des demandes. « L’espace disponible est actuellement saturé et nous cherchons à étendre nos capacités afin de répondre à la demande croissante », révèle Peter Batos.
Du côté de La CCHM, on travaille à affiner la production en augmentant le nombre de cultivars, en diversifiant les légumes produits et en accroissant la production. « Nous prévoyons de récolter entre 22 et 23 tonnes cette année », avance le directeur général. L’organisme vient aussi tout juste de procéder à l’ouverture d’une première épicerie à tarification sociale, La Collective. « Les personnes qui ont des difficultés budgétaires ont accès à des légumes à juste prix et qui viennent de nos fermes. On est très circulaires, on a l’idée qu’on est de la fourchette à l’assiette », illustre M. De Peyrelongue.
Pour lui, nul doute que la production courte et locale et, plus largement, la souveraineté alimentaire sont garants de l’avenir. « La production locale devrait devenir une obligation et non une option, particulièrement à la lumière des changements climatiques qui imposent la nécessité de repenser nos pratiques agricoles et alimentaires. Les circuits courts sont essentiels pour garantir une alimentation responsable et durable dans le futur », termine-t-il.