Démolition des cheminées de la Cimenterie Miron. (Photos fournies par la SHGMN).

LES CARRIÈRES AU CŒUR DE L’HISTOIRE DE SAINT-MICHEL

Les carrières de Saint-Michel évoquent deux choses dans l’histoire de cette ancienne ville et maintenant arrondissement de Montréal : Prospérité et nuisance. Remontons le fil du temps …

Les sulpiciens deviennent seigneurs de l’île de Montréal en 1663, ils établissent un réseau de chemins selon le système des côtes et des montées. Une côte est un chemin qui longe un cours d’eau sur lequel les colons s’établissent. On retrouve des côtes à l’intérieur des terres dans le même axe. En 1699, la « Côte Saint-Michel » est ouverte et il s’agit de la rue Jarry maintenant. Pour se déplacer d’une côte à l’autre, on érige des chemins nommés « montées ». En 1707, la Montée Saint-Michel est ouverte et il s’agit du boulevard Saint-Michel aujourd’hui. Un petit noyau villageois prend forme au 18e siècle à l’angle de la Montée et de la Côte Saint-Michel. Le terme hameau est plus juste pour décrire l’endroit à ce moment.

Le voyageur naturaliste suédois Per Kalm visite Montréal en 1749 et il emprunte la Montée Saint-Michel pour se rendre au Sault-au-Récollet. Il décrit l’endroit comme étant un lieu de transit. Il y aperçoit un four à chaux. Ce qui révèle déjà l’existence d’une petite carrière en exploitation.

Four à chaux.

La Côte Saint-Michel est un milieu agricole jusqu’au 20e siècle. Rappelons-nous de la présence des « peintres de la Montée Saint-Michel » qui se réunissaient dans le premier tiers du 20e siècle à proximité du Boisée Saint-Sulpice où les scènes bucoliques les inspirent. Ils sont sous le charme des « marais, lacs, ponceaux, tas de pierres, chemins, sentiers, barrières, champs cultivés, meules, basses-cours de fermes, troupeaux, sous-bois et les grands arbres, les ormes surtout… ».

Jean-Paul Pépin 1945.

Les premières carrières à Montréal sont près de la vieille ville. Les lieux d’extraction s’éloignent vers le nord avec les années : Plateau, Rosemont, Villeray…C’est seulement au milieu du 19e siècle que les carrières de la Côte Saint-Michel prennent de l’envergure.

Au milieu du 19e siècle, Montréal se transforme grandement en raison de l’exode rural et de la révolution industrielle. Montréal s’industrialise et devient l’un des plus grands ports intérieurs au monde. On a un grand besoin de calcaire (pierre de taille grise, concassée, chaux, ciment, etc.) pour ériger des quartiers, des routes, des industries, des infrastructures ferroviaires et portuaires. Sur la Côte Saint-Michel les exploitations de carrières se multiplient. Il s’agit d’exploitations peu mécanisées où le travail est fait au pic et à la masse. On surnomme les gens qui travaillent dans les carrières, « Les Pieds noirs », pour faire référence à l’apparence de ces travailleurs.

On retrouvait des compagnies comme « Labesse », « Lapierre » et « Limoges ». Vers 1900, le salaire varie entre 2,50 $ et 4,00 $ par jour. Le travail de carrier est éreintant. Il travaille 12 heures par jour. Six jours sur sept. Les carrières étaient fermées en hiver. Le dynamitage est ce qui cause le plus grand nombre d’accidents et touche habituellement les employés les moins expérimentés.

Four à chaux de la compagnie Limoges vers 1885.

Au début du 20e siècle, le béton et l’acier vont remplacer peu à peu le calcaire pour la construction d’édifices. Dès lors, la pierre grise sera concassée en grande quantité : L’étalement du chemin de fer exige beaucoup de pierre pour servir de ballast aux rails. Et l’introduction de l’automobile et des réseaux routiers exige aussi beaucoup de pierre pour macadamiser les chemins. D’ailleurs en 1911, le gouvernement du Québec octroie des subventions aux municipalités pour ériger des chemins. Ainsi, le chemin de fer et l’automobile permettront l’essor des carrières.

Au début du 20e siècle, l’industrie commence à changer en raison de la mécanisation du travail. Cette mécanisation est coûteuse alors les petites exploitations sont rachetées, fusionnées ou ferment. C’est l’ère des grandes exploitations.

La municipalité de Saint-Michel de Laval naît en 1912 et devient ville Saint-Michel en 1915. Une première paroisse (Saint-Bernardin-de-Sienne) est constituée en 1911 et un premier lieu de culte est ouvert en 1912 à l’angle du Métropolitain et de la 8e avenue. Une nouvelle église y est construite en 1956 pratiquement en même temps que la construction de l’hôpital Saint-Michel juste à l’arrière au nord. Les plans de la place octogonale sont faits vers 1915 pour l’emplacement d’un hôtel de ville et d’autres édifices qui desserviront les Michélois. L’hôtel de ville actuel est bâti en 1956. À la même époque, ville Mont-Royal élabore aussi un plan octogonal. Les terres agricoles disparaissent devant l’arrivée des duplex, habitations à logements, maisons unifamiliales et quelques maisons de vétérans.

L’ère nouvelle des carrières se manifeste en 1947 quand les frères Miron achètent l’exploitation de la carrière « Limoges ». Puis au cours des années 1950, l’ensemble du site est délimité par le boulevard Métropolitain (sud), le boulevard Industriel (nord), le boulevard Saint-Michel (est) et l’avenue Papineau (ouest). Les carrières attirent plusieurs familles dans Saint-Michel dont les immigrants italiens en raison des emplois disponibles. En 1949, on compte 6 000 personnes qui habitent à Saint-Michel, 48 000 en 1959 puis 68 000 en 1965.

Située entre les boulevards Saint-Michel et Pie-IX, une autre carrière est en exploitation depuis le début du 20e siècle, la « Dupré Quarries », qui devient « Francon » à partir de 1929. À ce moment, l’exploitation est acquise par James Franceschini et l’appellation « Francon » provient des premières syllabes de « Franceschini » et « concrete » (béton en anglais). L’exploitation de la carrière cesse en 1980. La ville achète le site en 1984. La carrière était sur trois « gradins » de 20 à 30 mètres de hauteur. Elle fait au total 1,8 km x 400 mètres (15 % du territoire du quartier Saint-Michel), et 75 mètres de profondeur. La production était pour le béton, le ciment et la pierre concassée.  James Franceschini arrive au Canada en 1906 à l’âge de 15 ans. Il est interné en 1940 comme bien des italiens lors de la guerre.

James Franceschini et sa famille.

De ces « trous » sont sortis la Gare Centrale, l’hôpital Sainte-Justine, la voie maritime du Saint-Laurent, la Place Ville-Marie, le Complexe Desjardins…  La cimenterie Miron entre en fonction en 1959, elle est parmi les plus grandes en Amérique du Nord. Ces immenses cheminées rouges et blanches deviennent un symbole.

L’ensemble des carrières représente environ 50 % du territoire de Saint-Michel. À certains endroits les carrières sont à 100 mètres de certaines habitations. Les dynamitages mal contrôlés causent des dommages aux maisons et aux automobiles. La cohabitation devient difficile et tourne au vinaigre en 1968 lorsqu’une partie de la carrière Miron devient un site d’enfouissement de déchets. Les habitants de Saint-Michel et certains dans Ahuntsic subissent les désagréments des odeurs, des rongeurs, de la poussière et du trafic de véhicules lourds (500 à 1 000 camions par jour). Miron reçoit des déchets des villes de Montréal, Laval et d’une dizaine de municipalités de la Rive-Sud. Les prix des propriétés sont dépréciés. Ces ennuis vont créer un sentiment d’unité jamais connu auparavant dans Saint-Michel. Divisés physiquement par les carrières les Michélois ne s’identifient pas encore au quartier. Parfois à leur paroisse, mais pas au quartier. La contestation va réunir des forces communautaires. L’Association pour la défense des droits des Michélois (ADDM) est créée dans les années 1970 et s’ensuit celle du PARI (Projet d’aménagement résidentiel et industriel). Puis Vivre Saint-Michel en santé (VSMS).

L’administration Jean Drapeau qui est très centralisatrice rachète les carrières Miron et Francon en 1984. Il faut attendre l’arrivée de Jean Doré en 1986 où la décentralisation mène à la création du Bureau de consultation de Montréal (BCM). L’administration Jean Doré choisit VSMS comme partenaire et interlocuteur local. Son administration prévoit utiliser le biogaz qui émane du site d’enfouissement et la fermeture du site d’enfouissement vers 1993-1994. Installation des capteurs de biogaz dans les années 1990. La Ville de Montréal accepte en 1991 que Gaz Métropolitain construise une centrale électrique à partir du biogaz : Gazmont. Fermeture de l’incinérateur Des Carrières dans Rosemont en 1993. Ses déchets sont envoyés à Miron. Quand la Ville de Montréal remet en question la date de fermeture du site d’enfouissement certains Michélois mécontents parlent de « désannexion » et de se fusionner avec Saint-Léonard!

Usine de biogaz Gazmont.

L’exploitation de carrière se termine en 1986. Le 17 avril 1988, 50 000 curieux se déplacent pour venir voir la démolition des cheminées.

Démolition des cheminées de la cimenterie Miron.

Arrivée de l’administration Pierre Bourque en 1994 et naissance du terme Complexe environnemental Saint-Michel (CESM). Sous Pierre Bourque on poursuit l’enfouissement des matières sèches. Il veut que le CESM transforme les déchets de nuisance en ressource via le recyclage et le compostage. En plus de Gazmont, il prévoit une usine de compostage, un centre de recyclage et un centre d’éducation environnemental. La centrale de Gazmont est en exploitation depuis 1999. Elle verse 1 million de dollars à la ville en redevances. En 2000, c’est la fin de l’enfouissement de matières putrescibles.

Les sphères blanches sont des capteurs de biogaz.

L’Écocentre Saint-Michel est ouvert en 1999. L’École Nationale du Cirque est créée en 2003. C’est au tour de la TOHU en 2004. Ouverture du plus grand « skatepark » intérieur au Canada : le TAZ. Plus aucune matière n’est enfouie. L’ancienne carrière « Francon » sert de dépôt à neige ce qui explique la présence d’un beau lac à l’eau noire!

La fin de l’exploitation des carrières et de l’enfouissement permet à Saint-Michel de respirer, car cette ancienne municipalité au début 20e siècle jusqu’aux années 1960 est sans réel plan d’aménagement et est sans égard envers la qualité de vie de ses résidents. Le secteur résidentiel côtoie des zones industrielles et des carrières puis des voies de circulations lourdes (Saint-Michel, Pie-IX, Métropolitain, voie ferrée et le boulevard Industriel). Au travers de toute cette atmosphère viciée, on retrouve une des populations parmi les plus denses à Montréal : 22 000 habitants / km2 versus 5 700/km2 moyenne montréalaise.

Plusieurs parcs qui ont déjà été des carrières : Jarry, Laurier, Centre de la Nature (Laval)…


Ce texte de la Série Desjardins Histoire et Patrimoine de l’est a été rendu possible grâce à la contribution financière de la Caisse Desjardins du Centre-est de Montréal.
Recherche et rédaction :  Stéphane Tessier. Ce texte est publié avec l’autorisation de la Société d’histoire et de généalogie de Montréal-Nord  (SHGMN).