Une partie du campement situé aux abords de la rue Notre-Dame (Emmanuel Delacour/EMM)

LE CAMPEMENT NOTRE-DAME DE RETOUR : QUELLES SONT LES SOLUTIONS EN VUE?

Les personnes en situation d’itinérance sont plus vulnérables que jamais à Montréal, notamment dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, constatent les acteurs du milieu. Le retour prochain de l’hiver n’augure rien de bon pour ceux qui se voient forcés de camper dans leur tente, comme c’est le cas pour nombreux d’entre eux sur les abords de la rue Notre-Dame.

Au passage d’EST MÉDIA Montréal la semaine dernière, nous avons pu dénombrer environ une trentaine de tentes, entre la rue Dézéry et le parc Morgan, installées entre la piste cyclable et la rue Notre-Dame Est. Certaines personnes avaient même établi leur campement à l’intérieur du parc Morgan. Force est de constater que le nombre de personnes obligées de dormir à l’extérieur est plus grand que dans les années passées dans ce secteur, ce que nous confirment les intervenants du milieu.

« La crise s’est encore plus ancrée cette année. Par exemple, mon nombre de refus au mois d’août cette année est plus élevé que mon nombre de refus en novembre 2023. Je refuse en moyenne par jour entre 30 et 60 personnes », explique Michelle Patenaude, directrice générale du Cap Saint-Barnabé.

L’organisme qui opère dans Hochelaga-Maisonneuve offre 350 places réparties dans trois centres d’hébergement d’urgence qui sont déjà pleins, confirme cette dernière. Même chose pour les 60 places en logement transitoire que gère le Cap, où l’attente est plus forte que jamais. Les personnes doivent patienter en moyenne 5 ans avant de trouver un logement en HLM, selon ce que rapporte Mme Patenaude.

La situation près de la rue Notre-Dame n’a donc rien d’étonnant, considérant la crise du logement qui perdure à Montréal, se désole Alexandre Leduc, député d’Hochelaga-Maisonneuve pour Québec solidaire. « Je ne suis pas tellement surpris. […] C’est quelque chose qu’on savait qui s’en venait. Lorsqu’on a vu les premiers démantèlements (en 2020), on a eu des dialogues avec la Ville et les autorités provinciales et on leur disait : « vous démantelez, mais pour qu’ils aillent où? » », raconte le député.

« Camper dehors, c’est le choix qu’on fait lorsqu’on n’a plus d’autre choix », résume pour sa part Jérémie Lamarche, organisateur communautaire pour le Réseau d’aide pour les personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM).

Vers un autre démantèlement?

Par le passé, des raisons de sécurité ont été invoquées pour démanteler le campement de Notre-Dame, par exemple à la suite d’un incendie qui s’était déclaré dans une tente, causé par le feu d’une chandelle.

Mais pour le porte-parole du RAPSIM, les démantèlements n’apportent pas de solution. « C’est complètement inhumain […], les gens n’ont pas plus de ressources qui leur sont offertes après le démantèlement. […] On demande que le Service d’incendie de Montréal fournisse des solutions pour assurer la sécurité des gens en hiver, plutôt que de dire : « c’est dangereux, on enlève tout » », soutient M. Lamarche. LE RAPSIM milite en faveur d’un moratoire sur les démantèlements partout à Montréal.

« Ce qui nous déstabilise beaucoup lors des démantèlements, c’est que les gens se désaffilient. Avec les camps, au moins, les personnes sont visibles. On sait où est « Roger » s’il a besoin d’aide », illustre de son côté Mme Patenaude. Cette dernière dit encore une fois craindre pour la vie des campeurs sur Notre-Dame cet hiver.

Certaines personnes se sont même établies à l’intérieur du parc Morgan (Emmanuel Delacour/EMM)

On ne sait pas pour l’instant si l’administration publique a l’intention de démanteler le campement à nouveau cette année, ou s’il sera toléré. À l’Arrondissement de Mercier – Hochelaga-Maisonneuve (MHM), on nous renvoie au ministère des Transports pour la question de la gestion du terrain sur lequel se trouve le campement, puisqu’il en est le propriétaire. En ce qui concerne la mise en place de nouvelles ressources pour aider les personnes en situation d’itinérance, c’est au CIUSSS du Centre-Sud de Montréal qu’on relance la balle.

Contacté par EST MÉDIA Montréal, le ministère des Transports affirme dans un courriel qu’on est au fait de la présence de tentes situées à différents endroits de la bande de verdure au nord de la rue Notre-Dame. « Le Ministère a observé une augmentation de leur nombre depuis le début de l’été dans certains secteurs, notamment près de la rue Joliette, et des avenues Bourbonnière et Létourneux, ainsi que dans le secteur du parc Morgan. À l’heure actuelle, le Ministère poursuit ses échanges avec l’arrondissement, afin de déterminer les meilleures actions à poser pour gérer cette situation », soutient-on.

On note aussi que l’entretien de la bande de terre de la rue Notre-Dame, entre l’avenue De Lorimier et la rue Dickson, est confié à la Ville de Montréal. « Il s’agit d’une entente qui remonte à 1985, et qui est toujours en vigueur », rappelle-t-on.

Un plan d’urgence

Tous s’accordent pour dire que la solution à long terme est la création de nouvelles places de refuge. Cependant, le député d’Hochelaga-Maisonneuve plaide pour que celles-ci ne se trouvent pas toutes concentrées dans le quartier, qui fait déjà une grande part dans cet enjeu. « Ce n’est pas correct que ce soit juste à Hochelaga qu’on fasse des efforts pour intervenir dans le dossier de la crise de l’itinérance », insiste M. Leduc.

À plus court terme, un plan pour venir en aide aux personnes en situation d’itinérance cet hiver demeure en suspens. Selon les intervenants interrogés, la Ville et MHM n’ont pour l’instant pas présenté de stratégie d’intervention. « C’est le silence radio », indique Mme Patenaude.

Cette dernière confirme cependant que le projet de halte d’hiver, fournissant une trentaine de places assises au 1475, rue Bennett, a été relancé pour une deuxième année par le CIUSSS du Centre-Sud en octobre.

EST MÉDIA Montréal a rejoint les relations médias de la Ville de Montréal, qui n’avait pas répondu à nos questions sur un possible plan d’intervention cet hiver au moment d’écrire ces lignes.

Refuges permanents ou temporaires?

Le Cap Saint-Barnabé gère trois refuges, dont deux ont été créés durant la pandémie, et qui devaient servir de ressources temporaires. Pourtant, leur usage perdure jusqu’à ce jour.

Selon Mme Patenaude, l’un de ceux-ci devrait fermer ses portes d’ici la fin de l’hiver 2025, sinon un peu plus tard. En effet, les jours du refuge l’Étape, situé dans l’ancienne église Sainte-Jeanne-D’Arc sont comptés, étant donné que le Centre communautaire Hochelaga souhaite y déménager ses pénates dans les prochaines années. Ce sont ainsi 90 places pour hommes et femmes qui devront se trouver un nouveau toit. « On travaille à se relocaliser, mais dans le contexte actuel, ce n’est pas facile. On a peu d’options disponibles », avoue la directrice générale du Cap Saint-Barnabé.

Enfin, le refuge situé dans l’ancien YMCA d’Hochelaga, situé au 4567 rue Hochelaga, pourrait être pérennisé. Ce local, prêté par la Ville, a été fermé aux activités sportives et de loisir en raison de sa trop grande vétusté, avant d’être converti en refuge. Aucun plan pour fermer cette ressource n’est prévu pour l’instant, indique Mme Patenaude.

Rendez-vous sur l’itinérance

De son côté, M. Leduc demeure positif concernant les résultats de son projet de Rendez-vous sur l’itinérance, dont la première rencontre a eu lieu en mai 2022. Depuis, les organismes de l’arrondissement « se parlent et ont cessé de travailler en silo », constate-t-il. Effectivement, plusieurs ressources intervenaient dans des dossiers connexes à l’itinérance, dont l’alimentation et l’accès au logement, mais c’est « une véritable concertation du milieu » qui aura été créée, croit le député. Cette concertation est désormais portée par la Table de quartier.

« Concrètement, on a aussi apporté quelques solutions. On a demandé que des toilettes publiques soient maintenues dans les parcs du quartier, par exemple », insiste M. Leduc. Une plus grande tolérance en ce qui concerne les campements faisait aussi partie des demandes du Rendez-vous. « C’est certain que ce n’était pas une baguette magique qui allait régler tout, mais ça fait en sorte que désormais les acteurs se parlent entre eux », souligne l’élu de Québec solidaire.

Besoin de plus d’investissements

Enfin, à l’Opposition officielle de la Ville de Montréal, on dénonce le manque d’investissement en matière de prévention de l’itinérance.

Benoit Langevin, conseiller de la Ville dans Pierrefonds-Roxboro et porte-parole d’Ensemble Montréal dans ce dossier, souligne que lors du conseil municipal du 17 octobre 2023, l’administration Plante a rejeté une motion dans laquelle celui-ci demandait doubler le financement de la Ville alloué aux organismes communautaires et travailleurs de rue qui font de l’intervention et de l’accompagnement auprès des personnes en situation d’itinérance pour qu’il atteigne 12 M$.

« La Ville paie présentement 6,5 M$ en prévention dans un budget total de 7 milliards. C’est totalement insuffisant », décrie-t-il. Celui-ci demande aussi qu’on fasse un meilleur état des lieux en matière de ressources d’hébergement et qu’on délivre des statistiques annuelles sur le nombre de personnes visiblement en situation d’itinérance. De plus, le conseiller demande qu’on examine la possibilité de fournir des locaux situés dans de immeubles vacants de la Ville pour y faire des haltes temporaires durant l’hiver.

Par ailleurs, M. Langevin souligne qu’il y aura moins de places disponibles pour héberger d’urgence les personnes cette année a Montréal, entre autres à cause de la fermeture progressive du refuge de l’ancien hôpital Hôtel-Dieu, alors que 183 places seront perdues à terme. En tout, il y aura 1450 places de disponibles dans la métropole cette année, comparativement à 1800 l’an dernier.