Christian Yaccarini, président et chef de la direction de la SDA (photo courtoisie).

UN CAFÉ AVEC… CHRISTIAN YACCARINI

Le président et chef de la direction de la Société de développement Angus, Christian Yaccarini, travaille d’arrache-pied depuis 25 ans déjà à la revitalisation de l’est de Montréal. Tout est parti du projet de reconvertir une partie de l’ancien territoire des « Shops Angus » du Canadien Pacific en quartier mixte, et où la création d’emplois prédominait au départ, soit le fameux Technopôle Angus que l’on connaît aujourd’hui. Avec sa deuxième phase de développement actuellement en cours, le site accueillera par ailleurs dans les prochains mois et les prochaines années plus de résidents cette fois, ce qui concrétisera la volonté ultime de la SDA d’avoir finalement fait de ce territoire un véritable quartier intégrant les meilleures pratiques de développement urbain sur la scène internationale.

Mais aujourd’hui, la SDA, c’est beaucoup plus qu’Angus. C’est une entreprise d’économie sociale unique en son genre et qui croît continuellement, tant en termes d’actifs que de projets et d’effectifs. Présente au centre-ville, quelque peu à Québec, la SDA continue toutefois de s’intéresser particulièrement à l’est de Montréal avec évidemment la phase II d’Angus, mais aussi avec son nouveau projet dans le Vieux-Pointe-aux-Trembles et celui qui devrait être officiellement annoncé sous peu à Montréal-Nord. Rencontre à cœur ouvert, et langue décousue, avec cette personnalité de l’est qui, vous pourrez le constater, a encore bien des projets en tête.

EST MÉDIA Montréal – Vous avez toujours milité publiquement pour une prolongation du REM dans l’est au lieu d’un tramway comme réseau de transport structurant. Comment voyez-vous la tendance qui semble finalement se dessiner en faveur du REM?

Christian Yaccarini – C’est plus qu’une tendance, selon mes informations le REM dans l’est va être annoncé officiellement dans les prochaines semaines, sûrement avant Noël, et j’en suis totalement ravi. On ne connaît pas encore le trajet final et où seront les stations, c’est ça qui va plutôt être annoncé bientôt.

EMM : Ça représente quoi pour vous l’arrivée du REM dans l’est de Montréal?

CY : Une excellente nouvelle. Car ça fait tellement longtemps que les infrastructures de transport dans l’est sont désuettes, inefficaces et inadéquates qu’elles freinent tous les types de développement pour l’ensemble de la communauté. Là avec le REM, le prolongement de la ligne bleue du métro et le SRB Pie-IX, on devrait être capable de tisser un réseau dans l’est de Montréal beaucoup plus efficace. Cela aura aussi une incidence sur l’efficacité du réseau d’autobus et sur celui du train de l’est. Ça va complètement changer la donne.

EMM : Ok pour le REM, mais à quel genre de développement on peut s’attendre par la suite, concrètement?

CY : Je pense qu’il faudra faire du judo avec nouvelle-là. Se dire parfait, on a enfin une infrastructure de transport majeure qui va demander non pas des millions de dollars d’investissement, mais des milliards… Faisons donc en sorte que ces milliards génèrent le maximum de retombées pour l’est de Montréal et pas juste des projets immobiliers…

EMM : Mais encore…

CY : Je m’explique. La nature fait en sorte que lorsqu’on annonce qu’une station du REM ou du métro s’installe quelque part, les proprios des terrains à proximité vont généralement développer des projets immobiliers ou vendre à des promoteurs qui eux vont développer ces projets parce que la rentabilité immédiate, rapide, elle est là, et c’est normal qu’ils agissent ainsi, c’est leur business. Mais à mon avis, une fois que l’on va connaître le trajet et l’emplacement des stations, il va falloir cette fois se pencher sérieusement sur les stations les plus stratégiques et voir à ce que le développement autour de celles-ci se fasse en fonction d’une approche de développement territorial qui va bien au-delà du développement immobilier.

EMM : Donc amener des entreprises, des organisations, de l’institutionnel, des services?

CY : Oui un peu de tout cela, et de l’immobilier où ce sera nécessaire. Il faut profiter de l’occasion pour aller chercher ce qui manque pour rendre l’est meilleur, plus intéressant, plus moderne, plus attrayant et plus compétitif, tant pour les résidents que pour les acteurs socio-économiques. Et on sait que les besoins ne sont pas les mêmes dans Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal-Est le long des terrains des pétrolières par exemple, ou encore à Pointe-aux-Trembles ou aux abords du Cégep Marie-Victorin. L’argent public investi dans le développement du transport structurant devra être le fer de lance de la revitalisation de plusieurs secteurs stratégiques de l’est de Montréal, c’est le temps ou jamais selon moi.

EMM : C’est une grosse commande, est-ce réaliste de croire à un projet d’une telle envergure et aussi structuré, en date d’aujourd’hui?

CY : Ça va prendre une mobilisation des parties prenantes, mais surtout de la maturité. Parce que je le répète, ce sont des gros, gros sous qui seront investis dans l’est avec le REM, sans parler de la ligne bleue, du SRB et même de la réfection du tunnel Louis-Hyppolyte-La Fontaine. C’est notre argent ça, c’est de l’argent public! On a la responsabilité de faire du développement du transport structurant dans l’est de Montréal un outil puissant pour développer le territoire. Depuis le temps qu’on en parle, faut maintenant sauter sur l’occasion et se relever les manches collectivement. Je crois qu’il faut mettre de côté nos réflexes de faire du développement traditionnel et de penser à un développement intégré de l’est de Montréal, réfléchi et pérenne sur les plans humain et économique. Tout cela est déjà en branle avec notamment le livre blanc de la Chambre de commerce de l’Est de Montréal, le CDEM ou l’Alliance pour l’Est de Montréal. Les acteurs de l’est sont déjà pas mal mobilisés, et la volonté politique est indéniable en ce moment.

EMM : Quittons le train et revenons à Angus… Comment se déroule le déploiement de votre Phase II, sur ce que vous appelez l’îlot central?

CY : Nous sommes chanceux car la SDA est dans une bonne période malgré la pandémie. La première phase résidentielle de 125 unités de condos est vendue à 100 % et les premiers occupants devraient prendre possession de leur résidence à partir du 18 novembre prochain. La construction du siège social de LG2 avance bien également et l’agence de publicité devrait s’y installer en janvier 2021, alors que l’on vient de démarrer la construction d’un autre bâtiment qui va accueillir la Clinique médicale Angus, juste en face de leurs locaux actuels sur William-Tremblay. Celle-ci va d’ailleurs devenir le plus grand Groupe de médecine familiale (GMF) au Québec et bénéficiera de quelque 80 000 pi2. Finalement, nous allons débuter la construction ce printemps d’une résidence étudiante en collaboration avec le Groupe UTILE, toujours sur le site de la Phase II d’Angus.

Construction de la première phase résidentielle sur l’îlot central d’Angus, au mois d’août dernier. Les premiers occupants devraient s’y installer le mois prochain, en novembre (photo : EMM).

EMM : La COVID-19 a-t-elle modifié vos plans de développement?

CY : Oui, surtout pour les édifices à bureaux que nous projetions de construire éventuellement. Compte tenu de la situation et de la tendance qui se dessine au niveau de ce type d’immobilier, il faut penser autrement. Aussi, je crois que la SDA a déjà atteint un très bon niveau de création d’emplois sur son territoire et que, en ce sens, nous avons relevé le défi. Donc on peut passer à autre chose pour certains terrains qui restent à développer.

EMM : Des projets sont déjà à l’étude?

CY : Tout à fait. Il y a une deuxième phase immobilière de 88 unités qui est en branle et dont nous avons vendu à ce jour 55 unités, donc la construction est imminente. Il y a aussi le fameux projet de Hall Pré-Commercial Intégré (HPCI) du Collège de Maisonneuve qui suit son cours. Mais en termes de projets qui sont plutôt à l’étape de réflexion, je peux confirmer celui d’une résidence pour autistes adultes de quelque 80 000 pi2 pouvant accueillir entre 50 et 60 personnes, ce qui serait une première au Québec, et une résidence nouveau genre pour personnes âgées autonomes de 75 ans et plus, qui seraient assez actives pour bénéficier des services de proximité offerts dans Angus et vivre ainsi leur vie de quartier, au lieu de se retrouver dans un environnement du genre tout-inclus à même le bâtiment, comme c’est le cas généralement pour les résidences de personnes âgées, même autonomes.

EMM : Finalement, on va se retrouver avec un véritable quartier, un milieu de vie mixte dans ce secteur de Rosemont?

CY : Bien sûr, c’est de plus en plus cela et ça reste l’idée de départ. L’enjeu à long terme selon moi c’est de ne pas en faire un quartier enclavé, refermé sur lui-même. Que cette mixité demeure dans le temps. L’arrivée très bientôt de plusieurs résidents, de familles, d’étudiants, et peut-être d’autres nouvelles clientèles vont changer la dynamique, la vitalité d’Angus, et le secteur va continuer d’évoluer suivant nos plans de départ il y a 25 ans.

EMM : Vous venez d’annoncer un important projet de revitalisation dans le Vieux-Pointe-aux-Trembles. Vous travaillez là-dessus depuis longtemps?

CY : Ça fait environ 18 mois. Nous avons acheté six blocs sur Notre-Dame Est afin d’atteindre une masse critique qui va nous permettre de créer justement un véritable effet de revitalisation dans ce secteur, et nous espérons aussi que ça fera boule de neige pour attirer d’autres investisseurs et d’autres commerces de proximité ou d’autres entreprises de services. Les bâtiments que nous construirons sur ces emplacements situés en plein cœur du Vieux-Pointe-aux-Trembles auront des espaces commerciaux au rez-de-chaussée, alors que nous offrirons principalement des logements aux étages.

EMM : Pourquoi avoir ciblé ce secteur de l’est de Montréal?

CY : Parce que c’est un quartier qui a un fort potentiel de redéveloppement, mais qui a besoin d’un sérieux coup de pouce pour allumer la mèche. Québec et l’arrondissement de RDP-PAT ont investi considérablement et sont des partenaires importants dans ce projet. Ensemble, et avec la participation de la communauté pointelière qui est appelée à se prononcer sur la mise en œuvre de cette revitalisation de la rue Notre-Dame, on peut maintenant envisager un avenir très intéressant pour le Vieux-Pointe-aux-Trembles, qui a déjà été très dynamique à une certaine époque. D’autant plus que ce quartier se renouvelle déjà depuis quelques années avec la navette fluviale, les places publiques, la rénovation de la Maison du Citoyen, etc. On vient donner, je pense, le coup d’envoi pour que l’artère commerciale redevienne une destination pour les citoyen.es de Pointe-aux-Trembles, mais aussi pour les gens qui vont éventuellement visiter le quartier dans les années à venir grâce aux moyens de transport qui seront plus efficaces.

EMM : Il y avait des rumeurs l’an dernier concernant un projet de la SDA sur les anciens terrains de Shell à Montréal-Est, qui appartiennent maintenant au Groupe Laganière. Est-ce que c’est fondé?

CY : Je ne cacherai pas que nous avons toujours démontré de l’intérêt pour cette partie de l’est de Montréal car on parle de 15, voire 20 millions de pi2 qui seront éventuellement disponibles pour du développement, une fois décontaminés, si on tient compte des terrains de la pétrolière ESSO. C’est énorme! On parle de plusieurs nouveaux quartiers qui pourraient voir le jour, par exemple. Mais en ce qui concerne la SDA, il n’y a rien de concret, même s’il y a eu quelques pourparlers effectivement ces dernières années.

EMM : Avec le REM qui s’en vient, ne serait-ce pas le moment idéal pour initier des projets sur ces terrains à Montréal-Est?

CY : De un, il va falloir qu’on oblige ESSO à décontaminer enfin leur terrain, car ça fait depuis 1983 que ça traîne ce dossier et que ça freine le développement de ce territoire, ou bien il faudra que les instances publiques prennent la décontamination en charge. Ce n’est pas vrai que ces millions de pi2 vont se trouver au cœur du trajet du REM sans qu’on puisse faire quoi que ce soit aux alentours, ça n’a juste pas de sens. Il faudra que collectivement on s’arrange pour que ces terrains soient disponibles pour un grand redéveloppement du territoire en fonction des besoins de la communauté de l’est. Avec l’arrivée du REM, on est rendu là.

EMM : Un mot sur vos intentions à Montréal-Nord, vous voulez toujours y implanter un projet, tel que c’est sorti dans les médias l’an dernier?

CY : Oui, plus que jamais compte tenu de l’urgence de la situation, car Montréal-Nord a connu un été d’enfer cette année et que ça se dégrade sérieusement dans le nord-est de l’arrondissement. Il n’y a pas eu une semaine où il n’y a pas eu de coup de feu cet été, il y a eu des initiations barbares de gangs de rue en public, les résidents se sentent intimidés et leur qualité de vie est déplorable. Il faut une mobilisation et une intervention de tous les acteurs, immédiatement, dans ce quartier.

La SDA devrait annoncer bientôt un important projet de revitalisation dans le nord-est de Montréal-Nord nous dit Christian Yaccarini (photo : EMM).

EMM : La SDA propose d’intervenir de quelle façon?

CY : On va acheter un bâtiment, du terrain, et nous allons construire un grand espace dédié à offrir des services à la population locale. Ça va aider à créer un milieu de vie sécuritaire aux alentours. D’ailleurs, nous avons déjà presque conclu une entente avec un groupe de médecins qui aimeraient y opérer un GMF. Nous savons aussi qu’il y a un projet pour créer une antenne du CLSC de Montréal-Nord dans ce secteur de l’arrondissement et si on pouvait l’arrimer à nos efforts, ce serait certainement un gros plus. Et on veut que ça soit beau comme environnement, que l’architecture rehausse le paysage. Que les résidents du secteur soient fiers de ce qui va se bâtir dans leur quartier. On travaille là-dessus très fort en ce moment.


Le dossier spécial « L’EST EN DÉVELOPPEMENT 2020» a été rendu possible grâce à la collaboration des partenaires suivants :