Jean-François Fortin Verreault, nouveau pdg du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal (photo courtoisie).

UN CAFÉ AVEC LE NOUVEAU PDG DU CIUSSS DE L’EST

Le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Est-de-l’Île-de-Montréal a un nouveau président-directeur général depuis le 20 décembre dernier, à la suite du départ de l’ancien dirigeant Sylvain Lemieux. Il s’agit de Jean-François Fortin Verreault, qui assumait le poste de président-directeur adjoint les deux dernières années.

Selon la biographie publiée sur le portail du CIUSSS, M. Fortin Verreault a commencé sa carrière dans le réseau de la santé et des services sociaux en 2003 où il a occupé différents postes de gestion dans le domaine des ressources humaines. Auparavant, il a été consultant au Centre d’étude en transformation des organisations de l’École des hautes études commerciales de Montréal (HEC) au sein duquel il a accompagné de hauts dirigeants en planification stratégique. Il a aussi assuré la direction du soutien à la transformation au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). À ce titre, il a piloté l’important chantier de création du nouvel hôpital, la mise sur pied d’un centre de recherche et d’un centre d’apprentissage intégré, ainsi que la cession de l’Hôpital Notre-Dame au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

Un gestionnaire aguerri avec qui nous avons discuté virtuellement la semaine dernière, le temps d’un café ou deux, afin de faire le point sur sa vision des défis qui l’attendent à la tête d’une des plus grandes institutions québécoises du réseau de la santé.

EST MÉDIA Montréal : Comment vivez-vous votre arrivée à titre de pdg du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal? L’intégration se déroule bien?

Jean-François Fortin Verreault : Oui ça va bien, je savais déjà pas mal ce qui m’attendait au quotidien, ayant travaillé de près avec M. Lemieux ces dernières années. Par contre, je ne pouvais pas prévoir que je rentrerais en fonction au cœur de la 5e vague de COVID-19… On pensait vraiment avant l’arrivé d’Omicron qu’on était dans une logique de rétablissement du réseau, d’un retour à la normale, ce qui n’a pas été le cas.

EMM : Après l’extraordinaire logistique de la vaccination, du dépistage, de l’adaptation des soins, est-ce que la longévité de la crise sanitaire amène de nouveaux défis pour le CIUSSS?

JFFV : Ce qui a été particulièrement difficile à partir de la mi-décembre, c’était de dire à toutes les équipes que les vacances devaient être revues pour tout le monde, sauf pour les équipes cliniques terrain. Malgré un épuisement des effectifs, la plupart des gestionnaires ont donc annulé leurs vacances, et beaucoup ont recommencé à travailler 7 jours sur 7 parce qu’il y avait énormément à faire. Par exemple, on avait prévu pendant le temps des Fêtes de vacciner 1 000 personnes par jour et finalement c’était parfois jusqu’à 6 000 personnes par jour. Il fallait monter des équipes spéciales, être capable de structurer une offre de service avec des centaines de personnes supplémentaires pendant cette période pour offrir le service à la population. Ça, c’est évidemment juste un aspect d’organisation jamais vue dans toute l’aventure COVID. On pourrait fournir plusieurs exemples du genre. Alors oui, chaque vague de COVID amène leurs défis, qui peuvent être différents d’une à l’autre.

EMM : Ce grand bouleversement que nous vivons tous depuis maintenant plus de deux ans change-t-il la donne pour l’avenir du réseau dans l’est, des façons de faire dans le milieu de la santé?

JFFV : Le CIUSSS avait commencé il y a déjà plusieurs mois à sonder l’ensemble des acteurs de l’est pour voir quel était le portrait de santé après deux ans de pandémie, et quels étaient les endroits où on devait intervenir en priorité. Plus de 1 500 personnes ont répondu au sondage que nous avons mis sur pied avec d’autres organisations de l’est, comme des tables de quartier, des OBNL, des institutions d’enseignement, des entreprises, etc. Donc là on a le bon portrait diagnostic et nous sommes en train d’analyser comment on peut ajuster notre offre de services en fonction de certaines priorités dans différents quartiers. Avant la 5e vague je pensais qu’on serait plongé dans ce travail-là, qui est en quelque sorte un peu en lien avec la refondation du réseau souhaité par le ministre Christian Dubé. C’est sûr que nous visons à améliorer la qualité et la quantité des soins de santé sur le territoire, et que l’analyse post-pandémie nous donne des pistes, mais on veut aussi prendre part comme institution à l’ensemble des projets structurants qui s’annoncent pour développer l’est de Montréal.

EMM : On entend souvent dans les coulisses gouvernementales que le poste de pdg d’un CIUSSS est l’un des postes les plus difficiles, les plus exigeants de la fonction publique. Est-ce le cas selon vous?

JFFV : Grande question. En partant, il faut réaliser que le CIUSSS dans l’est de Montréal c’est 17 000 employés, un budget de 1,2 milliard, et c’est surtout un territoire qui compte 535 000 citoyens, c’est immense.

Ceci étant dit, mon parcours professionnel m’a préparé, ça fait plusieurs années que je suis dans le réseau de la santé. J’ai eu l’occasion de travailler au CHUM pendant plusieurs années et ça faisait trois ans que j’étais à l’est avant d’être nommé dans le rôle de PDG. J’ai eu l’occasion de voir de près les soins et les services qu’on donne, de comprendre notre organisation, de comprendre les liens avec tous les partenaires. L’est a cette particularité que les gens travaillent beaucoup en réseau, travaillent ensemble.

Ensuite, je tiens à dire que nous avons une équipe extraordinaire. Il n’y a pas de doutes, les cliniciens sont excellents, les gestionnaires, les médecins, tout le personnel infirmier, notamment … Mon constat est que je partais avec une bonne équipe. Maintenant est-ce que mon poste est extrêmement exigeant? Oui. Parce que l’intervention de notre réseau va de la naissance à la mort des gens et on le fait dans un contexte où on est à la fois dans l’hyper spécialité, qui nécessite des connaissances scientifiques, une rigueur extraordinaire, et en même temps nous sommes au cœur de l’humanité qui nécessite des relations humaines, une empathie, une capacité à comprendre l’autre, à le soigner, à le servir. De concilier ces deux éléments, en plus de toutes les dimensions politiques et sociales, c’est ça qui rend notre rôle complexe et difficile, selon moi.

Photo courtoisie CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal.

EMM : Et qu’en est-il de la santé de notre réseau de santé, dans l’est de Montréal? Il se porte comment d’après vous?

JFFV : Deux choses. Je distinguerais dans un premier temps l’état de santé de la population. Ce que notre récent sondage démontre, c’est que la pandémie ne semble pas avoir entrainé une détérioration de la santé des gens en général dans l’est de Montréal. C’est ce que les gens nous répondent par sondage. Particulièrement, et ça m’a étonné personnellement, nos personnes âgées sur le territoire disent qu’ils sont même un petit plus en santé actuellement qu’avant la période COVID. Par contre, la population qui semble la plus vulnérable à l’heure actuelle, c’est nos jeunes, surtout les jeunes adultes de 17 à 26 ans. Des années où on a généralement besoin de beaucoup de relations, de sortir, de travailler en équipe, c’est l’âge pour vivre les premières expériences professionnelles, les années de cégep et d’université, etc. Les mesures découlant de la COVID ont eu des effets sur la santé de plusieurs personnes dans cette tranche d’âge, ça on le ressent.

Maintenant si on parle du CIUSSS, la première vague a été extrêmement difficile. Elle a généré beaucoup d’impacts dans nos équipes. Les vagues subséquentes, ça mieux été. On a mieux géré la pression des cliniques en répondant aux besoins de la population, mais en respectant aussi beaucoup mieux la capacité des cliniciens. C’est vrai qu’on leur en a demandé beaucoup, peut-être trop dans la première vague. Mais c’était exceptionnel, tout le monde apprenait. Depuis on a retrouvé un meilleur équilibre, même si ça demeure très exigeant.

On a notamment réussi à réduire un peu l’attente en chirurgie. Ça je suis content. On a aussi réussi à rouvrir toutes nos places en CHSLD, c’est une belle réussite. La liste d’attente pour les services en santé mentale a diminué. Ça aussi c’est bien car avec ce qu’on vit actuellement… ce n’est pas évident à réaliser. Alors oui, malgré tout, je dirais que notre CIUSSS va très bien. On a ouvert une première maison des naissances dans l’est, la prise en charge jeunesse va bon train, ce genre de choses démontrent que nous sommes toujours efficaces sur le terrain.

Mais malgré tout ça, la situation demeure préoccupante dans nos urgences, je ne vous le cacherai pas. C’est difficile, il y a beaucoup de pression dans les urgences du réseau. Par ailleurs, on travaille aussi très fort pour déployer les soins à domicile. Par exemple, l’est représente environ 27 % de la population de Montréal, alors que le CIUSSS offre 30 %  des services à domicile sur l’île. Donc on offre plus que notre quota de population et ça, on en est très fier. Donc en rapport aux besoins en général dans l’est de Montréal, je dirais qu’il y a encore du chemin à faire et on y travaille actuellement, mais sommes toutes le CIUSSS reste selon moi efficace. Il va falloir certainement réorganiser des façons de faire, comme ce sera le cas dans l’ensemble du réseau québécois.

EMM : Quels sont concrètement les défis qui s’en viennent pour le CIUSSS de l’est de Montréal dans les prochaines années?

JFFV : Le plus important, sans aucun doute, c’est l’accès aux soins et aux services, et le principal enjeu en ce moment pour assurer cet accès concerne les ressources humaines. Ce qui se passe actuellement, pour plein de raisons qui s’expliquent, c’est que les gens qui arrivent sur le marché du travail ne sont pas intéressés à faire ce qui se faisait voilà plusieurs années. Concrètement, faire un 5 à 10 ans de soir, de nuit et de fin de semaine, qui veut faire ça aujourd’hui? Les attentes et l’équilibre travail-vie personnelle ont évolué. En même temps, notre réalité, c’est que les patients ont besoin de services 24/7.

Il faut donc trouver une façon de répondre aux besoins d’accès de la population tout en respectant la capacité des travailleurs de la santé. Comment on peut faire ça? Par exemple : un patient se présente à l’urgence, après investigation, est-ce que son état permet d’organiser plutôt un rendez-vous le lendemain? Peut-il arriver à 8h dans un centre ambulatoire, faire les tests nécessaires, recevoir des traitements, et retourner à domicile le soir? La personne pourrait ainsi obtenir les soins appropriés alors que la capacité de nos équipes serait respectée.

Dans le même ordre d’idées, environ 30 % des transports ambulanciers que nous recevons ne sont pas des gens qui sont dans des états critiques, mais des gens qui ont tout de même besoin de soins. Donc on va essayer de voir si ce serait possible plutôt de soigner ces gens immédiatement à la maison dans l’avenir, sans qu’ils se présentent à l’hôpital. On travaille sur ce genre de modèles cliniques qui permettraient de bien répondre aux patients tout en permettant d’offrir une qualité de vie à nos employés.

L’autre volet qui apporte son lot de défis, c’est l’innovation au sens large. Je mets dans ce panier nos grands projets d’infrastructures. Par exemple, nous implantons un nouveau bloc opératoire pour les citoyens de l’est à l’hôpital Santa Cabrini. Les travaux commencent dans les prochaines semaines. Nous allons aussi reconstruire trois de nos CHSLD. On ne parle pas de maisons des ainés, mais d’un modèle qui s’y apparente. Et bien sûr il y le grand projet de reconstruction de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, un investissement majeur pour l’est. Mais ça ne se limite pas à des projets d’infrastructures. J’inclus dans les défis d’innovation le plan de réorganisation de nos services et effectifs, la façon de servir la communauté, de porter la santé globalement au service des citoyens, entre autres.

EMM : Revenons sur le dossier de la reconstruction de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Où en sommes-nous actuellement?

JFFV : Le ministre Christian Dubé a annoncé un nouvel hôpital de 720 lits en août dernier. Nous analysons actuellement les besoins techniques, la configuration des prochains pavillons, comment on peut construire le nouvel hôpital sur le site actuel, car c’est défini, nous allons construire à même le site actuel, là où se trouvent les espaces de stationnement du côté du boulevard Rosemont. Nous savons ce que nous avons besoin, nous sommes très avancés dans ces scénarios-là, maintenant c’est plutôt le dernier droit avec le gouvernement pour faire des choix. Par la suite ce sera l’étape des plans et devis. Il faut tout de même avoir en tête que c’est un projet qui va s’étaler sur plusieurs années, mais il est en train de se réaliser activement, la planification d’un tel projet demande du temps. C’est moins spectaculaire que des grues, mais c’est ce que nous faisons présentement.

EMM : Finalement, on entend souvent parler d’une prochaine zone d’innovation en santé dans l’est de Montréal. Qu’en est-il au juste?

JFFV : Les zones d’innovation souhaitées par le gouvernement sont des écosystèmes thématiques d’envergure faisant une place importante à la recherche fondamentale, à l’entreprenariat et pouvant abriter aussi des institutions. Ces zones devraient bénéficier dans l’avenir d’investissements majeurs pour leur développement. L’est de Montréal possède déjà un écosystème en santé solide et complet avec le CIUSSS, quelques entreprises privées reconnues dans ce domaine et trois institutions d’études supérieures, notamment. Ce qu’on souhaite, c’est de consolider significativement le volet entreprise privée pour aller plus loin dans le projet. On est en train d’y travailler avec différents partenaires comme la Société de développement Angus, l’Institut de cardiologie, des cégeps …le projet avance bien, mais on ne peut pas faire d’annonce pour le moment, le gouvernement est toujours en analyse et nous ne sommes pas la seule région à essayer de mettre la main sur cette zone d’innovation. Mais nous sommes très confiants, l’est de Montréal est très bien positionné en ce moment pour faire un gain significatif.