Cuisine typique des débuts du bungalow québécois (Source : ANQQ, E6, S7, P7141768) (Image fournie par Stéphane Tessier)

LE BUNGALOW : UN TÉMOIN DE L’HISTOIRE D’ANJOU

Ce mal-aimé de l’architecture est la plupart du temps absent des grands ouvrages portant sur le sujet. Il est pourtant indissociable de la banlieue nord-américaine. Au XXe siècle, il s’avère aussi être la forme d’habitation… la plus répandue au Québec!

Lors de la création des municipalités dans la Belle Province au milieu du XIXe siècle, les conseillers municipaux sont très souvent de grands propriétaires terriens. Ils font adopter des mesures qui vont permettre de développer et de mettre en valeur leurs propriétés foncières. Ainsi, la naissance de plusieurs municipalités a finalement été le projet de promoteurs. On retrouve d’ailleurs toujours ce phénomène dans plusieurs municipalités au Québec.

Anjou, la ville moderne

En 1969, une publication est produite pour mettre en valeur les avantages de s’installer dans la jeune municipalité d’Anjou pour les citadins et les industries. Le premier maire, Ernest Crépeault, en poste de 1956 à 1973, en sera par ailleurs le « promoteur en chef ». Comme plusieurs municipalités à cette époque, Anjou fait sa promotion par le biais de ce genre de publications.

Publication de 1969 faisant l’éloge de la vie à Anjou (Stéphane Tessier)

Rappelons qu’Anjou est un territoire né d’un détachement de Saint-Léonard en 1956. Un centre commercial apparaît rapidement de même que 500 maisons, ce qui fait alors disparaître en un clin d’œil un monde agricole au profit du développement d’une ville de banlieue.

Il faut aussi avoir en tête que l’après Deuxième Guerre mondiale est une période de pénurie de logements et d’habitations très importante à Montréal. Mais le pouvoir d’achat de la classe moyenne rend possible l’accès à la propriété. La prolifération de l’automobile et l’accès aux autoroutes métropolitaine et 25 vont également faciliter l’établissement d’une population à Anjou, son développement domiciliaire ainsi que la création d’un parc industriel et, comme nous l’avons vu, des fameuses Galeries d’Anjou.

La population de cette banlieue est de 9 500 habitants en 1958 et elle atteint les 37 000 dans les années 1980.

Peu à peu, les maisons de fermes disparaissent donc du territoire d’Anjou. Comme à l’image des autres banlieues, l’habitation typique qui se multiplie est le bungalow, où on peut élever une famille et profiter d’espaces verts grâce aux parterres.

Les bungalows et les « split levels » représentent un ensemble semblable dans les formes et les volumes, mais les revêtements extérieurs de couleurs différentes permettent de particulariser sa maison. Connaissons-nous bien le bungalow?

Revenons donc en 1942… 40 % des logements à Montréal logent alors plus d’une famille. 1 500 familles montréalaises habitent même dans des garages, des hangars, des caves, des magasins… On évalue à ce moment le manque d’unités de logement à 730 000, une véritable catastrophe. Le gouvernement fédéral intervient alors pour faire face à cette situation en faisant construire des maisons pour les ouvriers qui travaillent dans les usines d’armement pendant la guerre. Ces maisons du « War Time Housing » logent à la fin de la guerre les vétérans qui reviennent au pays et naît ainsi l’appellation « maisons de vétéran » pour décrire ce type construction. Ces maisons à un étage et demi sont faites de composantes préfabriquées et standardisées, et elles sont annonciatrices des habitations du futur, dont le bungalow.

Maisons de vétérans de la rue Chambord, dans Villeray (Stéphane Tessier)

Le terme « bungalow » est un dérivé de « bangla » en hindi du Bengale. Pour les Britanniques, il symbolise l’exotisme et décrit une maison de villégiature au début du XXe siècle. Il diffère du bungalow québécois, mais il y a une similitude dans un rez-de-chaussée relativement bas et  «écrasé ». Construit sur un seul étage, le concept rend le tout plus économe, plus simple et plus facile à construire.

Au Québec, le bungalow qui a la cote est celui qui présente son long pan à la rue et qui est situé au centre d’un terrain plus large que profond. Aux États-Unis, lors des années 1950, le bungalow en forme de L devient très populaire, mais celui à long pan demeure le préféré des Québécois. Le bungalow d’ici se démarque ainsi de ceux que l’on retrouve aux États-Unis et dans le reste du Canada. Les secteurs de la Place de la Loire et du boulevard Yves-Prévost, dans Anjou, sont des lieux où l’on aperçoit plusieurs bungalows « québécois ».

Bungalow à long pan sur la Place de la Loire (Stéphane Tessier)

L’engouement pour le bungalow est carrément stimulé par les pouvoirs publics. Le gouvernement provincial du Québec subventionne une partie des intérêts hypothécaires à cette époque. Les municipalités de banlieues québécoises facilitent aussi la construction en assumant l’installation des aqueducs et des égouts. Ces municipalités se font alors concurrence pour développer et stimuler la construction de maisons. Cette pratique va bien sûr réduire les coûts d’acquisition d’une propriété. Au Québec, le prix d’un terrain pouvait être le tiers ou même la moitié moins cher qu’en Ontario.

Pour attirer des futurs citadins, les municipalités de banlieues organisent même des événements et des festivals tels que des pique-niques, des défilés, des parades, des tirages… On se dispute les acheteurs!

Première photo ci-haut : Des curieux visitent une maison modèle (Source : Bâtiment, décembre 1959, p.37) (Image tirée de l’article « Le bungalow québécois, monument vernaculaire) Deuxième photo : La « parade des Bois-Francs » (Source : Bâtiment, novembre 1964, p.34)

Les années 1950-1960 sont celles du constructeur-développeur. Il achète des terrains pour ensuite construire et vendre. Le procédé vient d’être inversé. Ce n’est plus un particulier qui achète un terrain et qui choisit son contracteur pour faire construire sa demeure. L’industrie de la construction domiciliaire vient de passer à une phase mercantile.

Le contracteur met en marché son produit par différentes techniques : la maison modèle, les publicités dans les journaux et magazines, l’inauguration en présences de personnalités politiques et religieuses. Les contracteurs tentent de se distinguer en choisissant des noms évocateurs pour leurs développements résidentiels. Les architectes dénoncent cette pratique de construction standardisée qui les exclut. Ils dénoncent faussement une uniformité puisque chaque contracteur se distingue et particularise ses constructions.

Image tirée du film « Une chaumière, un cœur »

Le bungalow est un paradoxe : il est standardisé, mais très varié à la fois. Le modèle québécois standardisé possède une façade plus large que profonde surmontée d’une toiture à faible pente avec une aire de stationnement latérale. Il est un symbole d’accès à la propriété, et le propriétaire peut, en collaboration avec le contracteur, personnaliser le sien pour en faire sa demeure.

Comme on l’a vue, cette maison représente aussi la prise de possession de territoires en périphérie de la ville. On l’a présenté en des termes peu flatteurs : uniforme et kitsch. Il est associé à l’étalement urbain aujourd’hui dénoncé. Il peut sembler être une rupture, en quelque sorte, entre la tradition et la modernité.

Le bungalow est donc simple et peu coûteux. En 1970, on peut se procurer une maison pour moins de 10 000 $. La standardisation des pièces réduit les coûts et permet de construire rapidement. Certains contracteurs peuvent même ériger plusieurs bungalows à la fois.

La standardisation des pièces va aussi rendre la construction plus facile et plus flexible. De cette façon, on peut personnaliser sa construction, et c’est cette manière que le « bungalow québécois », finalement, apparaît. Il offre aussi de la flexibilité au niveau de l’aménagement extérieur. On personnalise la disposition du parterre et des arrangements floraux, de la niche à chien puis de la piscine!

Image tirée de l’article « Le bungalow québécois, monument vernaculaire » fourni par Stéphane Tessier (Pierre Lahoud, 2002)

Le bungalow, c’est également la réinvention des espaces que sont la cuisine et la salle de bain. La cuisine avec salle à manger a été revue, mais elle conserve une particularité canadienne-française : il s’agit d’une pièce familiale, un véritable milieu de vie. On consacre la cuisine comme « le royaume de la femme ». Cette femme qui retourne à la maison après avoir travaillé en usine pendant la guerre va alors découvrir une cuisine plus grande, plus sophistiquée, avec une cuisinière et comprenant, par exemple, une radio! Éventuellement, la cuisine va même accueillir la télévision. La cuisine définit en partie le « bungalow québécois ».

Après avoir donné dans le stéréotype avec « le royaume de la femme », le sexe opposé n’est pas en reste! En effet, le garage est alors pratiquement qualifié de « repère de l’homme ». On y trouve, en plus de la voiture, l’établi, le BBQ, un réfrigérateur… Par ailleurs, si le bungalow n’a pas de garage, il possède sans doute un « carport », qui est un prolongement du toit sur le côté de la maison et qui sert d’abri à la voiture. Et au garage ou au « carport », vient s’ajouter une invention toute québécoise : le fameux abri « Tempo »!

Bungalow du boulevard Yves-Prévost qui possède un « carport » (Stéphane Tessier)

Le bungalow comprend également une pièce qui lui est bien propre : le sous-sol. Auparavant, on pouvait rarement se tenir debout dans ce qu’on appelait « la cave ». L’espace est dorénavant plus spacieux. Le chauffage électrique va aider en réduisant la taille des appareils voués à cette fonction et qui occupaient cet espace. En outre, le cabanon de la cour extérieure permet quant à lui de remiser des items qui étaient rangés autrefois dans le sous-sol. La laveuse et la sécheuse s’y retrouvent désormais. Le sous-sol va permettre de bénéficier de nouvelles pièces : chambre d’amis, salle de jeu, salle de télévision, salle de couture, salle d’entraînement, bar, bibliothèque, etc.

Image d’un sous-sol fini tirée de l’article « Le bungalow québécois, monument vernaculaire » et fournie par Stéphane Tessier

Le bungalow est toujours à ce jour considéré architecturalement banal et pauvre; l’étiquette injuste d’une influence américaine (et celle de ne pas être issu de la culture québécoise) lui colle encore à la peau. Aujourd’hui, le bungalow se transmet d’une génération à une autre. La suivante se l’approprie et réinvente l’espace. La pression immobilière et le désir de créer une habitation qui répond aux besoins actuels les font disparaître tranquillement. Autrement, les modifications que ces maisons subissent les dénaturent complètement. Le Québec a, selon moi, un devoir de mémoire envers ses bungalows.


Ce texte de la Série Desjardins Histoire et Patrimoine de l’est a été rendu possible grâce à la contribution financière de la Caisse Desjardins du Centre-est de MontréalRecherche et rédaction : Stéphane Tessier, conférencier, conteur, animateur-historique, guide et chercheur.