Photo courtoisie

LE BOWLING DARLING À COURT DE RÉSERVES

Si les temps sont difficiles pour une grande majorité d’entrepreneurs, certains secteurs d’activité sont carrément à l’agonie après plus de neuf mois de pandémie. Bien sûr, on pense immédiatement à la restauration, au milieu culturel, ou à l’hôtellerie, par exemple. Mais il y a aussi tout le secteur du divertissement, véritable zone grise en ce moment dans les dédales des programmes d’aide gouvernementaux, qui suffoque. C’est le cas notamment du légendaire Bowling Darling, en plein cœur de la rue Ontario, dans Hochelaga-Maisonneuve.

Ça allait bien… avant mars

Isabelle Lavoie, propriétaire du Bowling Darling, en a eu vraiment ras le bol cette semaine, et l’a fait savoir aux médias et aux élus. C’est qu’une goutte d’eau a fait déborder le vase dans le cadre de ses nombreuses démarches pour joindre les deux bouts via la multitude de programmes d’aide mis en place par les trois paliers de gouvernement depuis la COVID-19. Aventure « kafkaienne » qui en bout de ligne, la laisse de plus en plus endettée, le seuil de tolérance au risque étant pratiquement atteint pour elle, dit Mme Lavoie. « Un des seuls programmes de subvention disponibles pour les commerçants de Montréal, et non un prêt, vient de m’être refusé parce que je suis au sous-sol, et que mon secteur d’activité ne se qualifie pas dans le programme qui vise surtout le secteur des biens et services. Il s’agit d’une aide de la Ville, administrée par PME MTL, pouvant atteindre 10 000 $ pour aider à défrayer les frais d’aménagements liés aux règles sanitaires imposées par la COVID. Alors que j’ai une grande surface, que je paye en conséquence mes taxes à la Ville, que les frais pour me conformer aux règles sont très importants en ce qui concerne le bowling, eh bien la petite pataterie du coin y a droit, alors que moi non. C’est d’une injustice crasse, et c’est injustifiable », s’indigne Isabelle Lavoie.

Ce n’est pas 10 000 $ qui sauveront le bowling avoue la propriétaire, mais ça peut certainement aider. « C’est une question de principe et de justice, il ne faut pas que la Ville fasse de discrimination du genre envers ses entrepreneurs payeurs de taxes qui vivent des difficultés directement liées au virus. Et ce montant est important car on ne parle pas ici de m’endetter davantage, mais d’aide directe. PME MTL peut bien me proposer de m’aider pour obtenir des prêts à gauche et à droite, mais je ne peux plus et je ne veux plus m’endetter. C’est repousser le problème, ça n’aide plus grands entrepreneurs ces prêts. On est rendu là », affirme-t-elle. Du côté de PME MTL Centre-Est, on confirme que ce programme exclut d’office l’activité principale de l’entreprise qui est de l’ordre du divertissement (bowling), étant plutôt mis sur pied pour aider le commerce de détail et les entreprises de services, une décision émanant du Service du développement économique de la Ville.

Avant la pandémie, les affaires au Bowling Darling étaient bonnes, soutient Isabelle Lavoie, qui a acquis le commerce en 2014 et qui l’a vraiment « pimpé » au point de devenir un endroit très prisé toujours des joueurs invétérés, mais aussi du milieu culturel et dans le réseau des événements corporatifs. « C’était plutôt assez plein. Le chiffre d’affaires avait augmenté graduellement et atteignait 53 % de plus que lorsque j’ai acheté. Mais du jour au lendemain, zéro revenu. Depuis le 12 mars dernier, nous avons été en opération que deux semaines, car même si on peut ouvrir en théorie, avec les restrictions quant au nombre de personnes imposées, c’est impossible d’être rentable. C’est catastrophique. » Ce qui l’a sauvé jusqu’ici de la fermeture définitive, c’est la collaboration du propriétaire de l’édifice, d’ailleurs ancien propriétaire du bowling. « Il a accepté immédiatement le processus d’aide du gouvernement fédéral en début de pandémie qui payait un bon pourcentage du loyer, et il a assumé aussi des pertes quand la liquidité manquait. Il comprend la situation et il fait ce qu’il peut. Mais si je faisais face à un propriétaire intransigeant, comme on en voit malheureusement plein dans le secteur commercial, la clef serait déjà dans la porte », avance Mme Lavoie, qui ajoute avoir mis en vente sa maison des Laurentides et se chercher plus petit, et moins cher.

Isabelle Lavoie, propriétaire du Bowling Darling, trouve injuste que la Ville lui refuse une aide financière alors que la plupart des autres commerces de la rue Ontario y ont accès (photo courtoisie).

Comme un grand nombre de propriétaires de commerces, Isabelle Lavoie a depuis le début de la pandémie usé de tout ce qui était disponible pour limiter les dégâts et garder la tête hors de l’eau : PCU, prêt de 40 000 $ garanti par Ottawa, prêt de la BDC, subvention salariale, aide pour le loyer commercial, et nombreux autres programmes ici et là, comme un 3 000 $ de la SDC Hochelaga-Maisonneuve. Mais c’est insuffisant pour un bowling fermé depuis mars dernier. « À part d’autres prêts, les options sont très rares, alors qu’il faut continuer à payer une partie du loyer, les assurances, l’électricité, la marge de crédit, etc. Il n’y a plus de revenus, que des dépenses », dit-elle. Quel est l’avenir du Bowling Darling dans ces circonstances? « Je ne sais pas encore, j’étudie certains scénarios. Chose certaine, si la situation perdure de la sorte, je ne m’acharnerai pas, même si ça m’arrache le cœur. Parce que je l’aime cette business-là, ça c’est sûr. »

Le bowling, une histoire de famille

L’entrepreneure n’a pas mis la main sur le Bowling Darling par hasard, il y a six ans. Son grand-père avait lancé dans les années 1950 le Bowling Brodway, qui a connu ses heures de gloire à Montréal-Est. Cet établissement très populaire à l’époque avait passé au feu pour ensuite être relancé dans le complexe que l’on appelle aujourd’hui le Centre récréatif Édouard-Rivet, toujours à Montréal-Est.

Isabelle Lavoie y a travaillé longtemps dans sa jeunesse, avant de bifurquer dans le domaine des communications, où elle s’est démarquée professionnellement, notamment dans le milieu culturel. Alors qu’elle est à l’apogée de sa carrière, elle entend que le légendaire Bowling Darling, dans Hochelaga-Maisonneuve est à vendre. Une passion refait alors surface, stimulant du même souffle sont côté d’entrepreneure. « C’était l’appel, et ça me tentait de passer à autre chose professionnellement. Les astres étaient alignés et j’ai plongé. Depuis ce temps-là l’aventure du bowling est exceptionnelle, et j’espère que la COVID n’aura pas raison de cette belle histoire qui a généré tant de beaux souvenir pour tellement de gens dans l’est de Montréal. Ce serait d’une tristesse inouïe », conclut sa dynamique propriétaire. En effet.