Photos du reportage fournies par Avant-Garde.

AVANT-GARDE : EMBOUTEILLER LA PASSION ET L’ART

NDLR : Les brasseurs et distillateurs de l’est de Montréal connaissent depuis quelques années un succès grandissant sur les tablettes un peu partout au Québec, faisant aujourd’hui du territoire l’un des plus productifs sur la scène nationale des micro-brasseurs et micro-distilleries. EST MÉDIA Montréal a voulu en savoir plus sur ces artisans-entrepreneurs en pleine ébullition, ce qui a généré sept reportages et tout autant de belles rencontres, et surtout, une intéressante série signée Elizabeth Pouliot. (1/7).

Bâtiments industriels peu invitants, entrée d’autoroute manquant cruellement de verdure, bars louches : non, ce n’est pas le mot « charmant » qui monte à l’esprit lorsque vient le temps de qualifier la rue Hochelaga dans le secteur du boulevard de l’Assomption. Néanmoins, c’est le lieu où ont choisi de s’établir les artisans brasseurs de chez Avant-Garde. Et leurs produits, en contrepartie, ont tout pour charmer! Portrait d’une brasserie qui « embouteille de l’art ».

Il était une fois un employé de banque qui adorait la bière, tellement qu’un beau jour, il décida de quitter ses fonctions afin de vivre de sa passion… prenant soin d’apporter avec lui tout son savoir financier! Il fit la rencontre d’un autre amateur de bière, un savant maître brasseur. Ensemble, ils ouvrirent leur propre brasserie, vécurent heureux et eurent beaucoup de bières!

Cette petite histoire est un peu celle que pourraient raconter Renaud Gouin et son associé, Shawn Duriez. Renaud, l’ancien employé de banque, a lancé une première compagnie il y a bientôt neuf ans, Jukebox. « Les bières de style IPA, plus houblonnées et qu’on retrouve énormément sur les tablettes en ce moment, il n’y en avait pratiquement pas il y a huit ans », dit-il. Comme cette bière était très populaire aux États-Unis, le passionné a saisi l’occasion et s’est lancé, offrant des IPA de style « américana » et s’inspirant de l’univers musical. Quelques années plus tard, Renaud rencontre Shawn, un maître brasseur d’expérience qui a entre autres brassé chez McAuslan (St-Ambroise). Ensemble, ils décident de créer une seconde entreprise, Avant-Garde. Maintenant fusionnées, Avant-Garde et Jukebox permettent aux deux hommes de jouir d’une belle polyvalence et de proposer une vaste sélection de bières de styles complètement différents. « On s’inspire de la Belgique, de l’Allemagne, de l’Angleterre, des États-Unis. On fait aussi des bières dites barriquées », ajoute Renaud avec enthousiasme.

Shawn Duriez et Renaud Gouin, co-propriétaires de l’entreprise Avant-Garde.

Pour les non-initiés, la fabrication de la bière « barriquée » s’inspire du vin et des spiritueux, c’est-à-dire qu’elle est maturée en fûts de chêne dans lesquels ont séjourné vin, bourbon, whiskey, tequila, cognac et autres plaisirs coupables. « On s’amuse avec ça. Ce sont des bières qui sont plus proches d’une bouteille de vin dans la complexité des saveurs… et aussi dans les prix! » En effet, ces produits sont plus dispendieux et intéressent peut-être davantage les connaisseurs que les néophytes de la bière.

L’est : une contrée à la fois peuplée et déserte

Les deux associés n’ont pas atterri dans l’est de Montréal par hasard. Leur plan d’affaires et leur étude de marché leur imposaient certaines contraintes. D’abord, les artisans brasseurs souhaitaient non seulement mettre en place une usine, mais aussi un salon de dégustation. « Il y avait la possibilité, ici, d’avoir à la fois un permis industriel et un permis de vente d’alcool. » Paraît-il qu’il demeure assez complexe d’obtenir des dérogations pour ce type de projet auprès de la Ville. Et rares sont les locaux qui offrent un zonage double. Dans un autre ordre d’idée, l’est de Montréal renfermerait davantage d’amateurs de microbrasseries, si on le compare avec l’ouest de l’île ou encore le centre-ville par exemple. Le peu de microbrasseries dans l’est, le stationnement en prime et l’enthousiasme des propriétaires des lieux face à leur projet suffirent ensuite à convaincre Renaud et Shawn de s’installer au 5500, rue Hochelaga, juste à côté du karting et d’Horizon Roc. C’est en août 2018 que démarre leur installation et quelques mois plus tard, en avril 2019, leur première bière brassait dans les cuves de ce local de 16 000 pieds carrés.

Ici, mijotent 5000 hectolitres de nectar houblonné par année, ce qui représente pas moins d’un million de pintes! En plus de leurs propres bières, les artisans brassent celles d’Ippon, entre autres, qui donne dans les produits d’inspiration asiatique. Et Avant-Garde partage la bâtisse avec un autre brasseur et distillateur connu du quartier, Oshlag. D’ailleurs, c’est là même où Renaud faisait brasser les bières Jukebox, il y a quelques années, avant que Shawn et lui ne décident de voler de leurs propres ailes.

Pour l’instant, Avant-Garde propose une trentaine de produits, disponibles dans quelque 1 000 épiceries, commerces spécialisés et restaurants, et ce, de Gatineau à Québec en passant par le Lac-Saint-Jean. La compagnie embauche une quinzaine d’employés, et ce chiffre devrait d’ailleurs augmenter prochainement. « On s’est gâté. On a investi dans un four de style napolitain qui nous permet de faire des pizzas italiennes, donc avec la croûte mince et des ingrédients plus raffinés comme la mozzarella di bufala », lance Renaud. Ce n’est que depuis décembre 2020 que les brasseurs ont diversifié leur offre avec les pizzas. « On a eu une grosse ouverture, on était très excités! » Avec la pandémie qui ne cesse de sévir, ils passent actuellement en deuxième vitesse afin d’offrir la livraison, en plus des commandes pour emporter. Car évidemment, même s’ils font partie des services essentiels, le fait qu’ils ne puissent pas accueillir de clients dans leur salon de dégustation, que ce soit pour la pizza ou la bière, a englouti une partie de leur chiffre d’affaires. « On a rouvert le salon de dégustation à capacité réduite cet été puis refermer en septembre. Mais depuis le début, on peut quand même vendre de la bière sur place. Les ventes dans les épiceries et commerces spécialisés ont aussi compensé légèrement les pertes du salon… mais ce n’est pas assez pour faire toute la différence malheureusement. »

L’art en bouteille

Avec toutes les microbrasseries qui poussent année après année, non seulement dans l’est de Montréal, mais un peu partout au Québec, les bières doivent jouer du coude sur les tablettes des épiceries. Avant-Garde a choisi de miser sur l’art… et ça non plus, ce n’est pas par hasard. « J’aime dire qu’on embouteille de l’art. On fait des bières qui sont artistiques, avec une œuvre sur la canette et un petit texte littéraire à l’endos. » Et qui écrit ces textes inspirés? Nul autre que Shawn! En plus de maîtriser le brassage de la bière, il a complété des études universitaires en littérature. Et composer ces messages rigolos sur les produits qu’il fabrique l’amuse beaucoup, réunissant du même coup deux passions.

Leur amour pour l’art et la bière a permis aux deux hommes de remporter des prix avec leurs produits. Ils comptent entre autres une dizaine de médailles remportées au Mondial de la bière, un festival montréalais. Ce sont leurs bières sures et barriquées qui s’en tirent habituellement avec les honneurs. Et quel est leur produit phare? « La Fashionista, IPA de la côte est, trouble, très houblonnée, avec des notes tropicales, plutôt sucrée et une belle texture onctueuse », affirme le co-propriétaire. Ça donne envie!

« Il y a définitivement un engouement pour les bières locales », termine Renaud. « Les Québécois sont de plus en plus épicuriens. Ils recherchent un produit plus intéressant d’un point de vue gustatif. » En effet, il y aurait une croissance d’au moins 10 % de microbrasseries par année au Québec. Et pas besoin d’être amateur pour le remarquer! Mais cette augmentation signifie aussi plus de compétition. « C’est une nouvelle réalité, il faut faire avec, mais ça fait partie du challenge! », lance en riant Renaud. Et c’est avec créativité et toujours autant de passion que la brasserie amorce cette nouvelle année. Des séries de lager, d’IPA et de bières « barriquées » s’en viennent. Et en attendant, il est toujours possible d’acheter sur place… et, pourquoi pas, d’accompagner sa bière de l’est d’une pizza napolitaine!