LA GRANDE INDUSTRIE DE L’EST EN MODE SYNERGIE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE
L’Association industrielle de l’Est de Montréal (AIEM), qui regroupe 17 des plus grandes industries sur le territoire, particulièrement dans le secteur énergétique (raffinerie, liquéfaction de gaz naturel, terminaux, etc.), s’active depuis quelques années déjà à la revitalisation et à la transition écologique du tissu industriel qui a longtemps caractérisé l’est montréalais.
Maintenant bien remise de la période d’exode et de fermeture d’usines qui a sonné le glas d’une époque, la fameuse période noire (de 1980 à 2010), l’industrie qualifiée autrefois de « lourde » est aujourd’hui en pleine transformation, suivant le rythme de la transition écologique qui s’impose un peu partout en occident. Tour d’horizon de cette association qui célèbre cette année rien de moins que ses 62 ans (!), en compagnie de son directeur général Dimitri Tsingakis. Un peu d’histoire, quelques précisions sur la composition et le rôle de l’AIEM aujourd’hui, et surtout, comment la grande industrie entrevoit l’avenir dans l’est de Montréal.
L’environnement d’abord
Fait assez surprenant diront certains, mais tout de même véridique : l’AIEM a vu le jour en 1960 alors que la question des impacts environnementaux du secteur industriel commençait à peine à ressurgir dans les médias et à préoccuper les résidents de certaines communautés. « Peu de gens le savent, mais les industriels de l’est ont été parmi les premiers à se regrouper afin de trouver des moyens pour améliorer l’environnement et la qualité de l’air ambiant. Ils voulaient aussi être transparents avec la population avoisinante, souvent leurs employés d’ailleurs, concernant les efforts déployés pour améliorer les choses. La notion de communication était très importante dès le départ », affirme Dimitri Tsingakis.
On peut imaginer que les décennies suivantes ont été intenses pour l’Association, alors que non seulement l’environnement gagnait en termes d’enjeu sociétal, mais la densité de population dans l’est de Montréal ne cessait de croître en parallèle. « L’AIEM a effectivement pris de l’importance au fur et à mesure que l’environnement devenait une préoccupation, mais aussi parce que la croissance résidentielle de l’est de Montréal exigeait que les grandes industries soient plus sécuritaires pour les collectivités limitrophes, de plus en plus importantes. Et après la grande crise industrielle, qui a frappé fort sur notre territoire jusqu’en 2010 environ, nous avons dû développer d’autres axes d’intervention et de communication, comme la responsabilité sociale et l’intégration de l’enjeu économique, par exemple », explique le directeur général.
Aujourd’hui, avec peut-être moins de de sites industriels qu’auparavant, il reste des joueurs très importants comme Suncor, Valéro, Énergir, ParaChem ou l’affinerie CCR avec lesquels l’AIEM collabore vers une transition écologique d’envergure et un développement industriel durable. Un défi complexe à relever, mais incontournable pour assurer la pérennité, voire la transformation du secteur industriel de l’est de Montréal.
Du pétrole au polyester
Avec plus de 2 000 employés dans leurs rangs, les membres de l’AIEM font partie des grands employeurs de l’est de Montréal. Il s’agit d’entreprises généralement réputées pour offrir des emplois de qualité et bien rémunérés, dans des secteurs technologiques de pointe.
Malgré une évolution marquée dans les procédés de leurs industries, les activités de transformation énergétiques représentent une large part des industries de l’est membres de l’AIEM. On parle ici d’entreprises comme Suncor, Valéro, Shell, Vopak, TC Énergie, Norcan, Énergir, ou Enbridge. Cependant, un volet très important s’illustre de plus en plus dans ce territoire industriel : la chaîne du polyester, créée dans les années 2000. Un projet appuyé par la SGF à l’époque. Il s’agit en fait de quatre entreprises aux activités complémentaires : Suncor (qui ne fait pas que du raffinage pour le secteur du transport dans ses installations de l’est), ParaChem, Indorama et Selenis.
« Il est vrai que le secteur pétrolier évolue, que la chimie verte et les avancées technologiques apportent des opportunités de production qui sont différentes d’avant, mais certains seront étonnés d’apprendre que la capacité de production des deux raffineries toujours en place en 2010 est comparable à celle des six d’autrefois (dont Gulf, Petrofina et Texaco). Les technologies utilisées et les équipements d’aujourd’hui sont beaucoup plus performants, ce qui permet à l’est de Montréal d’être toujours un joueur important dans le secteur de l’énergie », avance M. Tsingakis, aussi ingénieur de formation.
Quant à la chaîne du polyester de l’est de Montréal, spécifions d’emblée qu’elle produit environ 25 % du polyéthylène téréphtalate (PET ou PETE) en Amérique du Nord. C’est le fameux « plastique numéro 1 » utilisé couramment pour l’emballage alimentaire, entre autres (bouteilles de boisson gazeuse, barquettes à légumes, etc.). C’est aussi la matière première à la base des vêtements en polyester. « Pour fabriquer du polyester, on part du pétrole brut dont on extrait une molécule, le xylène. C’est ce qui est fait chez Suncor. Ce xylène est ensuite acheminé chez ParaChem, qui en fait du paraxylène, qui est ensuite dirigé par pipeline vers l’entreprise Indorama. Celle-ci transforme la matière en une poudre de PTA, qui prend alors la direction de Selenis. La matière finale se présente sous la forme de billes de PET, utilisés dans un nombre incalculable de produits », détaille Dimitri Tsingakis.
Chimie verte et zone d’innovation
Revitalisation de l’est, requalification des terrains industriels contaminés, développement de pôles d’innovation et de savoir, voilà des expressions qui font écho du côté de l’AIEM, qui se positionne inévitablement comme un acteur important de la transition verte tant souhaitée par les trois paliers de gouvernement, mais aussi, il faut le dire, par toute la population de l’est de Montréal.
Il faut retourner en 2014. Après deux ans d’études commandées à des chercheurs de l’école Polytechnique, l’Association déposait un rapport charnière qui a considérablement influencé les plans d’avenir de la trame industrielle de l’est. « Ce fut définitivement un point tournant, car ce que le rapport démontrait sans équivoque, c’est le fort potentiel de la région à intégrer dans son tissu industriel la valorisation des matières résiduelles et les notions d’économie circulaire. Ce qui manquait à l’est de Montréal pour se tourner vers l’économie de demain, ce qui manquait dans notre cycle de production, c’est d’intégrer, traiter, transformer nos résidus pour en faire des produits ou des matériaux que l’on peut réintégrer à notre chaîne industrielle », soutient M. Tsingakis.
Donc, l’AIEM met beaucoup d’efforts depuis quelques années à promouvoir auprès de ses membres, mais aussi auprès des pouvoirs publics, l’importance d’intégrer des technologies (et du savoir) qui visent à créer des synergies entre les entreprises sur le territoire afin de faire de l’est de Montréal un pôle d’excellence unique. Ce qui justifie par le fait même la participation de l’AIEM au dépôt d’un projet de « zone d’innovation » en technologies propres dans le cadre du programme d’innovation du gouvernement du Québec.
« Les technologies de pointe sont de plus en plus efficaces, ou en voie de le devenir, pour récupérer, traiter et réutiliser les matières résiduelles dans le secteur pétrolier, notamment. Imaginez si on était capable de décomposer le PET, le polyester, et de réintégrer ses composantes dans la chaîne de production, ce que ça pourrait signifier pour l’écosystème industriel de l’est de Montréal. Ce serait absolument génial pour la pérennité de cet écosystème, pour l’économie de l’est, mais aussi pour le volet environnemental du cycle de production. L’avenir est là, les technologies arrivent à maturité, pourquoi l’est de Montréal ne serait pas un joueur de calibre international dans ce domaine? Nous avons tout pour y arriver, et la revalorisation du PET n’est qu’un exemple des possibilités pour les industriels de l’est », exprime le dirigeant de l’AIEM.
Dans le même ordre d’idées, le projet pilote de Valorisation Carbone Québec débuté en 2017 et greffé aux installations de ParaChem, continue de progresser. Rappelons que cet important projet a pour objectif de développer et démontrer des solutions concrètes et commercialement viables de capture et de valorisation du CO2 dans différentes applications afin de réduire les émissions de GES. Le projet VCQ comprend également la participation de l’École Polytechnique de Montréal et du gouvernement du Québec. « La captation de CO2 et sa transformation en sous-produits réutilisables, comme du carburant notamment, est un autre exemple du potentiel d’économie circulaire pouvant s’intégrer aux infrastructures industrielles de l’est. Car des cheminées industrielles, on a en ici. Alors si la technologie arrive à récupérer et transformer le CO2, et ce sera certainement le cas, imaginez encore une fois l’incidence que cela peut avoir pour l’est de Montréal. C’est vers cet avenir-là que travaille aujourd’hui l’AIEM. Il faut que les gens réalisent que l’industrie de demain n’est pas l’industrie d’aujourd’hui. Elle sera définitivement moins polluante, plus innovante et plus productive. C’est pour cela que l’est de Montréal ne doit pas manquer le bateau », conclut Dimitri Tsingakis.