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1909 : LA MYSTÉRIEUSE VOÛTE DU QUARTIER ROSEMONT…

En 1909, quelle ne fut pas la surprise d’un résident de Rosemont de découvrir des voûtes sous sa maison! Il ne se serait pas agi de grottes naturelles mais bien de deux espaces délimités par des portes, donc de fabrication humaine. Le journal La Presse s’est emparé de cette histoire, se demandant si un ancien seigneur n’avait pas habité cet endroit. Voici le titre et l’amorce de l’article paru le 20 octobre 1909.

Qu’en est-il exactement? Nous vous présentons ici les faits tels que racontés au reporter de La Presse et étayons les hypothèses qui pourraient permettre d’expliquer le phénomène.

L’endroit

Premièrement, situons l’endroit exact de cette découverte. Elle se trouve sous les terrains de messieurs Émilien Larivée et Pierre Saint-Antoine, sur la 2e Avenue près de la rue Masson. C’est M. Larivée qui fait la découverte en voulant creuser un canal destiné aux eaux ménagères. Précisons que M. Larivée est alors parmi les premiers résidents du tout nouveau lotissement de la Rosemount Land & Improvement Co. Détenteur d’une promesse de vente sur le lot 365 issu de la subdivision du lot 172 de la Côte-de-la-Visitation (communément appelé « la terre Crawford ») il y aurait construit sa maison au printemps 1906, bien avant de l’acquérir officiellement. À cette époque, la ville de Montréal vient tout juste d’annexer cette portion du village de Rosemont et commence à peine à canaliser les égouts et les aqueducs. Plusieurs habitants doivent ainsi trouver leurs eaux, en creusant un puits ou en utilisant les services de livreurs d’eau.

     

Sur une carte du plan cadastral de l’époque, il est possible d’identifier la maison de bois de M. Larivée (extrait de la planche 421 du plan cadastral Goad de 1914). La petite maison bénéficie à l’époque d’une belle vue sur le Mont-Royal : la 2e Avenue fait en effet face à un terrain qui sera longtemps non habité, comme en fait foi une vue aérienne de 1947 (BAnQ). L’article de 1909 mentionne d’ailleurs que le terrain en face de la maison est alors en broussaille. Une forêt aurait couvert le terrain quelque vingt ans plus tôt.

La maison de M. Larivée est typique des maisons de l’époque, construites rapidement. Il s’agit d’une maison en bois de style boomtown, si on se fie au dessin présenté par La Presse. La construction de maisons de bois est alors interdite à Montréal, mais la municipalité tolère durant quelques années ce genre de construction dans les nouveaux territoires qu’elle a annexé. Construite en fond de lot, comme certaines maisons de type shoebox, la maison possède toutefois deux étages.

La découverte

L’article de La Presse mentionne qu’en octobre 1909, M. Larivée, aidé de quelques hommes, s’apprête donc à creuser un canal destiné aux eaux ménagères lorsque, parvenu à quelques pieds de profondeur, il frappe une très grosse pierre. À la suite de leur acharnement pour enlever l’obstacle, la pierre s’affaisse soudainement, faisant place à un immense trou noir. Intrigués, les comparses descendent un des hommes à l’aide d’une corde pour explorer le puits ainsi dévoilé. L’explorateur constate que le puits est de 16 pieds de profondeur et que les murs sont en pierre. Larivée et les autres hommes se joignent à lui, fanal en main. Ils découvrent alors une porte donnant sur une chambre de 8 pieds par 9 pieds et de 4,5 pieds plus bas que le puits (voir dessin). Les murs sont de briques taillées de 6 pouces de façade et le tout est inondé de 4 pieds d’eau. On fabrique alors un radeau de fortune et les valeureux hommes découvrent alors une nouvelle porte carrée donnant sur une nouvelle chambre. Dans celle-ci, ils ne peuvent atteindre le fond malgré l’emploi d’une perche de 21 pieds. Selon l’auteur de l’article, un seul objet y a été trouvé : une clenche de porte en fer forgé, ce qui selon lui, prouve que les voûtes datent bien du début de la colonie française!

Le lendemain, La Presse publie un autre article sur la découverte. Le président de la Société des antiquaires y précise qu’à l’époque de Ville-Marie il n’était pas rare que les colons construisent des voûtes pour échapper aux Iroquois. Mais à son avis, il est peu probable qu’un colon se soit établi à cet endroit.

Un peu d’histoire et de géographie sur la naissance de Rosemont

Pour bien comprendre, faisons un bref retour en arrière. Vous le savez peut-être mais en 1663, toute l’île de Montréal était administrée par les Sulpiciens, sous la forme de la seigneurie de l’Île-de-Montréal. Au 18e siècle, les Sulpiciens concèdent des lots à des particuliers qui leur paient une redevance annuelle. Les lots concédés sont principalement utilisés comme terres agricoles. Pour faciliter le développement et la circulation des biens, des routes sont tracées, comme le chemin de la Côte-de-la-Visitation qui traverse le village du même nom, fondé en 1870. Le chemin correspond aujourd’hui à la majeure partie du boulevard Rosemont.

Au tournant du 20e siècle, l’ère industrielle bat son plein, la population grandissante a besoin de logements. La pression immobilière s’étend aux villages et villes au pourtour de la ville de Montréal. Le village de la Côte de la Visitation n’y échappe pas; en 1895 sa portion ouest, plus urbaine, se sépare et devient le village De Lorimier. Le reste de Côte de la Visitation devient alors le village de la Petite-Côte, qui sera renommé Rosemont en 1905. La carte suivante présente le village de la Côte de la Visitation avant sa subdivision.

Extrait de l’Atlas de Montréal de Henry W. Hopkins (1879). De gauche à droite : le futur village De Lorimier; se terminant en pointe, la ferme d’Henry Hogan, du village Hochelaga; et enfin la terre d’Alex Crawford. La flèche indique l’endroit approximatif de la maison.

Juste au sud du village, le grand projet des Ateliers Angus est mis en branle en 1902 et intensifie la fièvre immobilière. C’est donc dans ce contexte que la Rosemount Land & Improvement Co. achète en 1903 la terre de Crawford (lot 172) et la subdivise en 2 553 lots. La terre sera incidemment la première portion de la toute nouvelle ville de Rosemont à être annexée à Montréal en 1906.

L’hypothèse d’une maison du début de la colonie

Est-il possible qu’au tout début de la colonisation de l’île de Montréal, il se soit trouvé une maison à cet endroit? Une maison qui aurait nécessité l’utilisation de caves pour se protéger des attaques des Iroquois, comme le mentionne l’article de La Presse?

Le président des antiquaires interviewé par La Presse, mentionne M. François Dejardy comme premier propriétaire de la terre de Crawford. Selon nos recherches, M. Dejardy a bien possédé une propriété, mais juste à côté de l’endroit exact de la maison. Quoi qu’il en soit, il est improbable qu’un colon ait construit une maison à cet endroit. Lorsque certains colons s’installent hors de l’enceinte de Ville-Marie, ils le font le long de routes existantes. Or le chemin de la Côte-de-la-Visitation est assez loin du site. L’hypothèse, que les présumées voûtes soient les restes d’une ancienne maison du début de la colonie semble donc peu probable.

L’hypothèse de vestiges d’une ancienne carrière

Parlons maintenant de l’hypothèse de vestiges d’une ancienne carrière et quelque peu de l’immense terre d’Henry Hogan. La ferme Hogan se situait dans le village d’Hochelaga et avait une forme un peu spéciale : elle montait en flèche pour s’introduire au milieu du village de la Côte-de-la-Visitation vers le nord. Elle était coupée en son centre par la voie ferrée du Canadien Pacifique. Or, pendant plusieurs décennies, on trouvait tout près des rails, la carrière Rogers & Quirk (soit la carrière no 40 selon la numérotation de la ville de Montréal). Nous ne savons pas la date exacte du début de l’exploitation de cette carrière : il n’est pas impossible qu’elle ait commencé vers les années 1870, bien que la carrière n’apparaisse sur aucune carte d’époque. Cependant, nous savons qu’en 1905 la succession d’Henry Hogan donne mandat à la firme Charruau & Daoust (agence immobilière) de la rentabiliser. Le sud de la terre est alors divisé en lots et les ventes vont bon train. Quant à la partie plus au nord, elle est louée et éventuellement vendue principalement pour être exploitée comme carrière de pierre, puis comme dépotoir pour la ville de Montréal. Elle est éventuellement rachetée et expropriée pour le prolongement du boulevard Saint-Joseph et la création du parc Masson, devenu Parc du Pélican en 1969.

L’hypothèse qui semblait la plus évidente pour la Société d’histoire Rosemont-Petite-Patrie, il y a une quinzaine d’années, était que ces voûtes avaient servi pour entreposer et sécuriser du matériel de la carrière Rogers & Quirk, que l’on savait être dans les environs de l’actuel parc du Pélican. Mais les données récentes fournies par la Ville de Montréal nous permettent maintenant de situer plus précisément l’emplacement des carrières de Montréal. Une recherche plus approfondie dans la documentation (articles de presse numérisées et autres outils disponibles aujourd’hui) révèle malheureusement que la carrière 40 de Rogers & Quirk n’était pas à proximité de la maison, mais bel et bien plus au sud du parc du Pélican, en bas de la rue Laurier.

Toutefois, l’hypothèse que les voûtes soient des vestiges de l’exploitation d’une carrière n’est pas pour autant à rejeter. Il y avait au début du 20e siècle trois carrières de pierre dans cette région. Ces carrières fournissaient surtout des pierres pour le béton, des moellons et des pierres concassées, choses prisées par les chemins de fer, les routes et les habitations. Il n’est pas impossible que de la prospection ait été faite avant de déterminer l’endroit le plus favorable pour une carrière. Les présumées voûtes pourraient en être le résultat.

L’hypothèse de grottes naturelles… ou d’un canular!

Toujours selon l’article de La Presse, les employés de l’aqueduc ont essayé de vider l’eau des caves mais n’auraient pas réussi à les assécher. Serait-il possible qu’une nappe souterraine ait creusé ces voûtes? Quelques rivières sillonnent en effet le souterrain de Rosemont et cette hypothèse reste à étudier. Si cette hypothèse s’avère, serait-il possible que nos explorateurs aient simplement pris les strates de pierres grises pour des murs briqués? Se pourrait-il aussi qu’ils aient un peu fabulé en ce qui a trait aux voûtes briquées et aux portes? Nous avons déjà mentionné que les premiers habitants du Vieux-Rosemont doivent trouver de l’eau et ce particulièrement, dans le secteur de M. Larivée, où les puits se tarissent facilement. Faire miroiter la possibilité d’une nappe d’eau souterraine a dû faire rêver plus d’une famille.

Enfin, l’hypothèse d’un canular reste à considérer. Il est en effet étonnant qu’Émilien Larivée ne fut pas disposé à faire visiter les voûtes au moment où l’information a été révélée. C’est plutôt un homme de l’équipe, plus volubile, qui a raconté l’histoire au reporter de La Presse. Comme cela a fait l’objet de bien des rumeurs, on peut penser qu’il en a tiré une certaine notoriété. Il est également curieux que nous n’ayons trouvé aucun autre journal qui reprend la nouvelle et que La Presse n’ait publiée aucune suite à cette histoire. L’hypothèse d’une affabulation n’est donc pas à écarter, quoique d’une part, de nombreux détails mentionnés dans les articles demeurent plausibles, et que d’autre part, Larivée ait tenu à faire inscrire dans l’acte de revente de son lot, sept années plus tard, le curieux avertissement suivant au sujet des conditions de vente : « Avec toutes circonstances et dépendances, servitudes actives et passives, apparentes ou occultes, dont … ledit acquéreur déclare être content et satisfait »…

En guise de conclusion

Déçu que nous ayons pu vous fournir une réponse précise à ce mystère ? Nos trois hypothèses restent toujours à fouiller et peut-être que nous n’aurons jamais le fin mot de l’histoire. L’hypothèse de vestiges de carrière semble pour nous encore l’hypothèse la plus probable. C’était aussi l’hypothèse de Marcel Meloche, membre de la Société d’histoire, lorsqu’il a remis sur la table cette histoire qui a meublé les soirées des premiers Rosemontois.

Nous continuons nos recherches et notre prochain bulletin qui aura pour thématique Les carrières de Rosemont-Petite-Patrie nous permettra de traiter plus à fond l’hypothèse de vestiges d’une carrière de pierre (à paraître cet automne).


Ce texte de la Série Desjardins Histoire et Patrimoine de l’est a été rendu possible grâce à la contribution financière de la Caisse Desjardins du Cœur-de-l’Île.
Recherche et rédaction : Société d’histoire Rosemont-Petite-Patrie.